vendredi 11 mars 2016

LA PÉRIODE DE LA GUERRE ...







      LA PÉRIODE DE LA

             GUERRE












                                               Mon père, Lucien en 1938










Sur quatre enfants, j’étais le second fils d’un officier de marine qui ne servait pas sur la mer : Il arborait un écusson de pilote d’avion. J’ai des souvenirs de ballons, ballons ronds dits “libres”, ballons captifs, longs dits “saucisses”, ballons à propulsion motorisée dits “dirigeables”...

Un bateau qui s’appelait “le Cèdre” tractait des saucisses aux alentours de l’île d’Oléron. Il me reste aux narines l’odeur du caoutchouc échauffé par le soleil du mois d’août, dans une clairière entourée de pins maritimes.




















                             Un  "Pou du Ciel" (1939)



J’ai aussi des souvenirs d’étranges insectes de bambous, de bois et de toile huilée ... et qui volaient ! Parmi les plus invraisemblables citons les “ Poux du Ciel”, les “avionnettes” et les “autogires”, ces derniers pouvant être considérés comme les ancêtres des hélicoptères modernes. Ils volaient, mais aussi, souvent, ils se brisaient.

Il me suffisait de grimper sur une chaise, dans notre salle de bains, pour manipuler en cachette le casque de cuir souple et les lunettes de pilote de mon père.




Dans le même placard, se trouvait le sabre, avec des galons d’or pendant à la garde. Fourreau noir. Dans une boîte en bois dont la forme pouvait intriguer je découvris un jour le bicorne à cocarde. Bicorne et sabre équipent mon père dont l’image figure sur une photo prise à Rochefort lors de la cérémonie au cours de laquelle on lui remit La Croix.

Un matin de septembre mille neuf cent trente neuf ... Il faisait beau. Mon père, perché sur le toit de la maison où nous passions nos vacances, en Oléron, rangeait des tuiles. Est-ce qu’il m’en souvient bien, ou le souvenir n’est que rapporté ? Les gendarmes vinrent annoncer la déclaration de guerre et la mobilisation.






















                                  Autogyre - 1939.






La guerre ... Elle commence pour moi dans un chambardement, un bruit d’apocalypse. C’est le premier souvenir dont je suis absolument sûr qu’il soit direct et personnel. J’avais sept ans. Je grimpai les escaliers métalliques à toute vitesse. Je croyais que le bateau coulait. Nous nous trouvions au large de Gibraltar. Je dormais sur ma couchette dans les entrailles du navire qui nous conduisait à Casablanca. Mes parents devaient prendre le frais sur le pont à ce moment là. Je sens encore les odeurs d’huiles, lourdes et j’entends encore les battements des machines, les emballements épisodiques de l’hélice lorsque les pales sortaient de l’eau.



Un paquebot qui s’arrête en plein élan, c’est fou comme c’est bruyant ! Les tôles vibrent ... Un aviso britannique nous arraisonnait. Je pensais à mon petit camarade, resté en France, dont le père avait péri au fond, dans un sous-marin. Cette mort avait hanté mes nuits ... Sait-on ce que cela peut être, pour un petit garçon de sept ans, d’étouffer la nuit au fond de l’océan ? Le naufrage d’un sous-marin, est-ce que cela fait autant de vacarme que l’arraisonnement d’un paquebot ?

Mon père à moi était chargé de la construction d’un centre de ballons captifs à Casablanca.





                          Ballon captif en 1939




Une fois installé là-bas, près des “Roches Noires” j’appris, une bribe après l’autre, car les “grands” ne parlaient pas de cela aux enfants, qu’il se passait en France des choses très graves et mystérieuses. Moi, j’avais pour m’amuser la compagnie d’un épervier apprivoisé et de deux marcassins qui accompagnaient le chien partout. Il y avait aussi une piscine en mer toute proche.

Je pense que mon père fit un séjour sur le croiseur Jean Bart : Une plaque de bouche aux armes de ce navire est longtemps demeurée sur son bureau. Par contre, je ne crois pas me souvenir de cette fameuse nuit où l’on vit des avions anglais mitrailler la rade.



Toute la population était, paraît-il montée aux terrasses pour admirer les balles traçantes et les fusées éclairantes. Je crois bien que c’était le quatorze juillet !

On n’aimait pas les Anglais, dans la marine. On parlait de Mers-El-Kébir.




















                              Mers El Kebir





Des images et des mots disparates constituent mes souvenirs : Les cavaliers chamarrés du Sultan, avec leurs capes rouges, des dromadaires en files interminables, le balcon de l’appartement que nous avons habité à Rabat, à côté d’un magasin de jouets qui s’appelait “Au Nain Bleu” ... De ce balcon, j’aspergeais les passants en soufflant dans le bec d’une gargoulette. Je me souviens aussi des bougainvillées qui grimpaient sur un mur, à l’entrée d’un tunnel ferroviaire. Je me souviens du mausolée du Maréchal Lyautey, des pistes rouges partant d’Agadir vers les déserts du sud et des neiges lointaines du Tizin’Test ... Des noms me reviennent en mémoire : Giraud, Darlan, Weygan, le Maréchal.


















  La flotte française coulée par les Anglais à Mers El Kébir.






Je ne sais qui m’apprit à chanter “Maréchal Nous Voilà” et puis “C’est nous les Africains qui revenons de loin “ On parla ensuite des Américains : Ils risquaient de “débarquer”.





-     «  Commandant, le bateau, il a coulé. Il s’est cassé sur les rochers … La tempête ! Tout le monde est sauvé, mais « le petit », il est mort. »

Le commandant, c’est mon père. Le petit, c’est mon frère, il doit avoir douze ans. Le naufrage s’est produit devant Safi. J’ignore où se trouve Safi : J’ai dix ans. C’est un coup de téléphone qui nous  avertit.

Le club des officiers de marine d’Agadir avait acheté un voilier. Il faut dire qu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de distractions, dans le Sud marocain ! Quelques hommes l’allèrent chercher à Casablanca et le ramenaient lorsqu’ils furent surpris par une tempête. Le bateau se brisa : La pièce la plus grosse que l’on retrouva sur le rivage était le lavabo de la cabine, seule pièce restée entière.



























Les marins s’étaient sauvés à la nage … Et le petit n’était pas mort ! On lui avait ficelé un jerrican sur le dos, on l’avait mis à la mer, on le tira jusqu’au sec … Dans le jerrican, chacun avait mis ses objets de valeur : Montres, papiers, billets de banque : En quelque sorte, ce fut le « petit » qui sauva les trésors ! Il but largement la tasse, mais il arriva sain et sauf.


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