LA PÉRIODE DE LA
GUERRE
Mon père, Lucien en 1938
Sur quatre enfants, j’étais le second
fils d’un officier de marine qui ne servait pas sur la mer : Il arborait un
écusson de pilote d’avion. J’ai des souvenirs de ballons, ballons ronds dits
“libres”, ballons captifs, longs dits “saucisses”, ballons à propulsion
motorisée dits “dirigeables”...
Un bateau qui s’appelait “le Cèdre”
tractait des saucisses aux alentours de l’île d’Oléron. Il me reste aux narines
l’odeur du caoutchouc échauffé par le soleil du mois d’août, dans une clairière
entourée de pins maritimes.
Un "Pou du Ciel" (1939)
J’ai aussi des souvenirs d’étranges
insectes de bambous, de bois et de toile huilée ... et qui volaient ! Parmi les
plus invraisemblables citons les “ Poux du Ciel”, les “avionnettes” et les
“autogires”, ces derniers pouvant être considérés comme les ancêtres des
hélicoptères modernes. Ils volaient, mais aussi, souvent, ils se brisaient.
Il me suffisait de grimper sur une
chaise, dans notre salle de bains, pour manipuler en cachette le casque de cuir
souple et les lunettes de pilote de mon père.
Dans le même placard, se trouvait le
sabre, avec des galons d’or pendant à la garde. Fourreau noir. Dans une boîte
en bois dont la forme pouvait intriguer je découvris un jour le bicorne à
cocarde. Bicorne et sabre équipent mon père dont l’image figure sur une photo
prise à Rochefort lors de la cérémonie au cours de laquelle on lui remit La
Croix.
Un matin de septembre mille neuf cent
trente neuf ... Il faisait beau. Mon père, perché sur le toit de la maison où
nous passions nos vacances, en Oléron, rangeait des tuiles. Est-ce qu’il m’en
souvient bien, ou le souvenir n’est que rapporté ? Les gendarmes vinrent
annoncer la déclaration de guerre et la mobilisation.
Autogyre - 1939.
La guerre ... Elle commence pour moi
dans un chambardement, un bruit d’apocalypse. C’est le premier souvenir dont je
suis absolument sûr qu’il soit direct et personnel. J’avais sept ans. Je
grimpai les escaliers métalliques à toute vitesse. Je croyais que le bateau
coulait. Nous nous trouvions au large de Gibraltar. Je dormais sur ma couchette
dans les entrailles du navire qui nous conduisait à Casablanca. Mes parents
devaient prendre le frais sur le pont à ce moment là. Je sens encore les odeurs
d’huiles, lourdes et j’entends encore les battements des machines, les
emballements épisodiques de l’hélice lorsque les pales sortaient de l’eau.
Un paquebot qui s’arrête en plein
élan, c’est fou comme c’est bruyant ! Les tôles vibrent ... Un aviso
britannique nous arraisonnait. Je pensais à mon petit camarade, resté en
France, dont le père avait péri au fond, dans un sous-marin. Cette mort avait
hanté mes nuits ... Sait-on ce que cela peut être, pour un petit garçon de sept
ans, d’étouffer la nuit au fond de l’océan ? Le naufrage d’un sous-marin,
est-ce que cela fait autant de vacarme que l’arraisonnement d’un paquebot ?
Mon père à moi était chargé de la
construction d’un centre de ballons captifs à Casablanca.
Ballon captif en 1939
Une fois installé là-bas, près des
“Roches Noires” j’appris, une bribe après l’autre, car les “grands” ne
parlaient pas de cela aux enfants, qu’il se passait en France des choses très
graves et mystérieuses. Moi, j’avais pour m’amuser la compagnie d’un épervier
apprivoisé et de deux marcassins qui accompagnaient le chien partout. Il y
avait aussi une piscine en mer toute proche.
Je pense que mon père fit un séjour
sur le croiseur Jean Bart : Une plaque de bouche aux armes de ce navire est
longtemps demeurée sur son bureau. Par contre, je ne crois pas me souvenir de
cette fameuse nuit où l’on vit des avions anglais mitrailler la rade.
Toute la population était, paraît-il
montée aux terrasses pour admirer les balles traçantes et les fusées
éclairantes. Je crois bien que c’était le quatorze juillet !
On n’aimait pas les Anglais, dans la
marine. On parlait de Mers-El-Kébir.
Mers El Kebir
Des images et des mots disparates
constituent mes souvenirs : Les cavaliers chamarrés du Sultan, avec leurs capes
rouges, des dromadaires en files interminables, le balcon de l’appartement que
nous avons habité à Rabat, à côté d’un magasin de jouets qui s’appelait “Au
Nain Bleu” ... De ce balcon, j’aspergeais les passants en soufflant dans le bec
d’une gargoulette. Je me souviens aussi des bougainvillées qui grimpaient sur
un mur, à l’entrée d’un tunnel ferroviaire. Je me souviens du mausolée du
Maréchal Lyautey, des pistes rouges partant d’Agadir vers les déserts du sud et
des neiges lointaines du Tizin’Test ... Des noms me reviennent en mémoire :
Giraud, Darlan, Weygan, le Maréchal.
La flotte française coulée par les Anglais à Mers El Kébir.
Je ne sais qui m’apprit à chanter
“Maréchal Nous Voilà” et puis “C’est nous les Africains qui revenons de loin “
On parla ensuite des Américains : Ils risquaient de “débarquer”.
- « Commandant,
le bateau, il a coulé. Il s’est cassé sur les rochers … La tempête ! Tout
le monde est sauvé, mais « le petit », il est mort. »
Le commandant, c’est mon père. Le
petit, c’est mon frère, il doit avoir douze ans. Le naufrage s’est produit
devant Safi. J’ignore où se trouve Safi : J’ai dix ans. C’est un coup de
téléphone qui nous avertit.
Le club des officiers de marine
d’Agadir avait acheté un voilier. Il faut dire qu’à l’époque, il n’y avait pas
beaucoup de distractions, dans le Sud marocain ! Quelques hommes
l’allèrent chercher à Casablanca et le ramenaient lorsqu’ils furent surpris par
une tempête. Le bateau se brisa : La pièce la plus grosse que l’on
retrouva sur le rivage était le lavabo de la cabine, seule pièce restée
entière.
Les marins s’étaient sauvés à la nage
… Et le petit n’était pas mort ! On lui avait ficelé un jerrican sur le
dos, on l’avait mis à la mer, on le tira jusqu’au sec … Dans le jerrican,
chacun avait mis ses objets de valeur : Montres, papiers, billets de
banque : En quelque sorte, ce fut le « petit » qui sauva les
trésors ! Il but largement la tasse, mais il arriva sain et sauf.
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