LES GALETS DU
QUÉBEC
La devise du Québec ... Gravée dans la pierre !
Québec, ou tout au moins la ville
ancienne, ressemble à Saint-Malo : Mêmes remparts, même granit, mêmes
toits. On y trouve pas mal de ruelles et de trottoirs qui sont pavés de
galets : galets de lest venus sans doute des rives de l’Aunis ou de celles
de la Bretagne. On en remplissait les cales des navires trop légèrement
chargés. À La Rochelle aussi, il y a des voies qui sont pavées de galets, venus
probablement de la « Nouvelle-France » ! –Dame, il fallait bien
faire quelque chose, de ces galets !
Je ne sais trop ce qui m’a valu cette
mission : En compagnie de six ou huit autres responsables de
l’administration de l’Éducation Nationale, j’étais mis à la disposition du
Ministère des Affaires Étrangères pour une durée d’un mois.
Nous allions au Québec pour
sélectionner des professeurs candidats à un séjour d’une année dans les
établissements scolaires français. Je suppose qu’au même moment, une équipe de
responsables québécois était chargée d’une mission semblable auprès des
candidats français à un séjour au Québec … C’était en février.
Je suis content d’être allé au Québec
… et je suis content d’y être allé en hiver. Disons le tout de suite
cependant : Un mois de février tout entier au Québec, c’est long ! Je
voudrais bien y retourner en automne : C’est si beau, le Québec en
automne, sur les affiches et sur les photos ! … Tous ces érables roux,
tous ces lacs !
L’arrivée à l’aéroport de
Montréal : Tout un événement déjà ! nous passons sous le portique de
sécurité … Pour moi, tout se passe bien. L’un de mes collègues, un petit
courtaud et timide, portant moustache en balai-brosse, pose sa valise sur le
tapis roulant : Déclenchement de toutes les sirènes d’alarme de l’aéroport
… Affolant ! Surgit un essaim de policiers tombés de je ne sais où …
Fouille complète de la valise. On se ratatine dans ces cas-là : Le
collègue rentre sous terre.
Retour au calme : La police a
trouvé l’arme redoutable responsable de toutes ces alarmes …
Soulagement : Il ne s’agit que de ciseaux … Une inoffensive et minuscule
paire de ciseaux à moustaches !
Québec : Où est la ville ?
… Longues avenues … Les chasse-neige entretiennent les chaussées. On patauge
dans la « schloss », c’est à dire dans une sorte de boue sale,
grisâtre : Un amalgame de neige à demi fondue, de terre, de sel que l’on a
répandu à profusion partout. Maisons et immeubles disséminés, un peu comme à
Los Angelès : Ville construite à l’ère de la voiture automobile !
-« Il faudra vous acheter des
caoutchoucs, si vous voulez sortir à pied ! »
Longues rangées de
« caoutchoucs » le long des murs du vaste hall dans lequel nous avons
pénétré à notre sortie de l’autobus …. Les « caoutchoucs » sont des
sortes de sabots que l’on chausse par-dessus ses chaussures, afin que l’humidité
et le sel n’abîment pas le cuir. À la sortie, comment chacun
retrouve-t-il les siens ? … ( Mais on les retrouve bien à la sortie des
pagodes et des mosquées …)
Surprise ! On ne nous a pas
conduits dans un hôtel : Nous voici … C’est inattendu ! … Nous
voici dans un couvent ! C’est l’époque du carnaval de Québec … Il n’y a
plus une seule chambre libre dans les hôtels. Nous logerons au couvent !
Château Frontenac ... C'est un hôtel !
Je dois dire que nous y sommes très
bien : Longues galeries, un peu tristes, c’est vrai, austères du moins …
Murs de granit. À travers les fenêtres à double vitrage, j’admire une tempête
de neige. En quelques instants, tous les reliefs sont effacés dans le cloître
d’où les rosiers sont invisibles. Je n’ai eu que juste le temps de les
apercevoir. Je vous recommande, si vous avez la possibilité d’y accéder, le
séjour dans un couvent québécois. Celui-ci fait profession d’accueillir les
missionnaires lors de leur passage. C’est donc une véritable hôtellerie. Il est
très calme, ce qui est bien le moins pour un couvent … Mais, de plus, la
cuisine est délicieuse et abondante : Ah ! Ces tourtières !
Ah ! Ces darnes de saumon en sauce ! Rien à voir avec une cure de
thalassothérapie ! Dans ces sauces onctueuses, dans ces parfums francs, je
reconnais la cuisine de chez nous : Celle des fermes et des auberges
d’autrefois, avant Michel Guérard et la « Nouvelle Cuisine » !
Allons, les cousins québécois ont su, de leurs coutumes originelles, conserver
ce qu’il y avait de meilleur !
Première sortie : dans la
« schloss », et avec des « caoutchoucs ». Je m’attendais à
plus de froid encore. Je suis équipé : Bonnet de fourrure, chaussures de
peau de phoque « avec ses poils), un gros chandail, un vaste
manteau. L’air est vif, piquant, mais je garde ouvert le manteau : Il fait
moins vingt. Les gants sont précieux.
Les remparts de Québec.
Nos déplacements à pied semblent
incongrus, certainement : Personne ici ne se déplace à pied. Les
maisons et les immeubles sont surchauffés : On y vit en chemisette. On
descend au garage par un escalier intérieur, on grimpe dans sa voiture, dont on
met tout de suite le chauffage en marche et on pénètre par des accès
souterrains jusqu’au cœur des centres commerciaux ou des immeubles de bureaux …
Tout cela sans mettre le nez à l’air ! De temps à autre, parfois, il arrive
qu’on soit obligé de dégager la porte du garage à cause de la neige qui
la bloque. Pour manier la pelle à neige, on doit bien chausser les
« caoutchoucs » ! Il arrive aussi qu’une voiture ait passé la
nuit dehors : Au matin, il faut alors une dépanneuse pour aider la
batterie déficiente. Cependant, on ne marche pas à pied dans les rues. Or
j’aime flâner le nez au vent et je flânerai … Le tout est de bien se souvenir
du nom du couvent et de celui de l’avenue dans laquelle il se trouve, pour
pouvoir revenir en autobus ou en taxi ! Cela semble curieux à un Français
non averti : Ici, on énonce une adresse de façon abrégée : Vous allez
vous rendre 1234, des Rosiers … Et non pas 1234, avenue ou rue des Rosiers. De
plus, comme les artères sont très longues, il vous faudra préciser que vous
vous rendez 12334, «des Rosiers Nord, des Rosiers Est, ou Ouest … Allons, ça y
est : Ayant bien mémorisé l’adresse du couvent, je m’autorise à partir le
nez en l’air.
Le Saint-Laurent, d’abord : On
le voit de partout, large, majestueux, lent, calme, puissant. Par endroits, il
est complètement gelé, pris par une banquise dont certains blocs se dressent
vers le ciel. Aujourd’hui, c’est justement le jour de la course
traditionnelle : À l’aviron, de lourdes barques en bois luttent dans la
traversée du fleuve. Si j’avais su, je serais venu plus tôt jusqu’à l’esplanade
du château Frontenac : Lorsque j’y arrive, les barques sont déjà loin. Les
équipages souquent sur les avirons et, lorsqu’on rencontre une banquise, la
barque y est hissée, puis l’équipage la pousse, la tire, la fait glisser sur la
glace. C’est une belle bataille, qui commémore les luttes autrefois
quotidiennes aux pionniers … On évoque Maria Chapdelaine ou, en d’autres lieux
assez semblables, les ruées du Klondike …
Il a bien neigé : deux lourds
chevaux de trait tirent un traîneau de bois à capote de cuir verni. Les
promeneurs qui occupent les sièges sont couverts de fourrures, leurs genoux
disparaissent sous les couvertures. Leur haleine produit de petits jets de buée
blanche. Celle des chevaux est puissante. Le cocher est aussi couvert qu’un
ours peut l’être de sa pelisse ! Les enfants patinent à qui mieux mieux,
traçant des arabesques ou maniant la crosse de hockey.
Descendre l’avenue, tout droit … On
domine les toits d’ardoise du quartier Saint-Jean, le plus ancien de la ville.
Il borde les quais du Saint-Laurent : Réservons sa visite pour une autre
fois …
Ce coup-ci, nous approchons de la
vieille ville : Le vieux Québec. Les maisons sont de granit, les remparts
aussi. Granit gris : On se croirait à Saint-Malo ! Échoppes et
boutiques … Comme à Saint-Malo en saison touristique : On étale, on
suspend, on entasse les gadgets : Fausses étoles ou ponchos soi-disant
indiens, sculptures et fausses sculptures, sur bois, sur pierre, sur corne …
«Arts des Inuits du Grand Nord », colliers, bijoux, amulettes. Bref, avec
les échoppes, les bistrots et les fast-food : Comme au Mont-Saint-Michel
et comme partout ailleurs. Dans le ciel très bleu passe un petit biplan
traînant une longue banderole :
« Le steak à son meilleur, à La
Calèche ».
On songe immédiatement –
« Vocabulaire français, mais structure linguistique anglaise » …
Ah ! Le poids des voisinages ! Mais la pensée elle-même est-elle
encore française ?
Les Québécois sont les Québécois. Ils
revendiquent leur culture, leur langue, et leur accent même … (« J’ai un
accent, moi » ?). L’ensemble constitue leur mode d’expression
propre : Celui d’un peuple américain original. « Maudits Français »,
dit-on encore, en pensant sans doute aux batailles de la Plaine d’Abraham et à
l’abandon dans lequel la France a laissé les Canadiens de la
« Nouvelle-France ».
Le Québécois a conservé, et utilise,
des mots, des expressions, des locutions qui nous semblent désuets et
charmants, surprenants parfois. On dit que le vin et les alcools distribués par
des magasins d’état sont « dispendieux ». On jure en s’exclamant
« Tabernacle » ! Mais la langue québécoise, si l’on veut bien
considérer qu’elle est cousine de la nôtre, n’est en aucun cas considérée comme
un Français abâtardi, ni même comme un Français « vieilli ». Ici, on
parle français, pas le français de Paris, mais le français du Québec, qui est
une langue aussi légitime , quant à son vocabulaire ou à ses structures que la
langue actuelle du « Vieux Pays » … Cousins, oui, on le veut bien,
mais ici, on n’est pas les « cousins paysans » !
On comprendra pourtant l’angoisse de
ce peuple francophone entouré de tous côtés par une marée anglophone, laquelle,
par le biais de puissantes influences économiques pourrait bien tout balayer si
l’on devenait moins vigilant :
- « Je vous dirai ce que je
choisis sur votre carte lorsque vous voudrez bien vous adresser à moi en
parlant français », disait un ami Québécois au serveur du restaurant.
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