mercredi 27 janvier 2016

LA ROCHELLE UN AMOUR !



 L’OURSIN FOSSILE









































« ON RACONTE ENCORE, SIRE, Ô ROI BIENHEUREUX, QUE L’ÉMIR MUSA FUT SAISI DE L’ÉMERVEILLEMENT LE PLUS VIF À LA VUE D’UNE FEMME AUSSI BELLE … »





Sur une  étagère, dans une petite vitrine que j’ai achetée à la salle des ventes de la Rochelle, j’ai placé un oursin, un oursin fossile. Il n’a pas de piquants, c’est vrai, mais il est néanmoins tout entier. Il est décoré de lignes de pointillés : Un point à l’emplacement où chaque piquant s’enracinait. Une allure de dentelle, un peu. Je l’ai trouvé dans mon jardin. Il est sorti du sol au tranchant de ma bêche. Combien de milliers d’années ?

L’Aunis abonde en fossiles de coquillages : J’en ai vu vendre sur le marché central, à La Rochelle … De pleins paniers ! Ce sont souvent des ammonites, parfois des bivalves qui ont des allures de grosses palourdes ou de praires. J’en ai de très gros, que je ne saurais identifier.

                            ***



À vrai dire, je ne sais pas très bien comment je suis arrivé là. Il s’est passé tellement de choses, depuis hier au soir ... Tellement de choses !

C’est vrai, c’est hier au soir que je suis arrivé à La Rochelle, à la nuit tombante. Autour des réverbères, il y avait des halos dans la bruine. Ce temps n’est pas de saison !

Je crois bien que depuis hier au soir, il n’a pas cessé de pleuvoir. Pas vraiment de la pluie, d’ailleurs, plutôt un brouillard, pas très dense, mais chargé de lourdes gouttes. Les joues sont mouillées, les cheveux dégoulinent, l’asphalte brille.


J’ai pris un taxi devant la gare. J’ai demandé que l’on me conduise chez ma voisine. Je ne pouvais pas passer la nuit chez moi, la maison était en travaux, vidée de ses meubles, livrée aux ouvriers. C’était du reste pour cela que je venais à La Rochelle, pour aller à un rendez-vous de chantier, fixé au lendemain après midi. J’avais choisi de venir avec un jour d’avance : Besoin de repos, besoin d’être seul un peu. J’avais téléphoné à Madame Morel pour lui dire que j’arrivais. Elle a une chambre libre. Elle me l’a proposée souvent :-”Si vous en avez besoin ...”


















Je monte l’escalier. Cela sent bon la cire, partout, comme autrefois. Les meubles sont robustes, taillés dans l’ormeau de chez nous. Les rideaux et le couvre-lit sont cramoisis, ornés de glands et de pompons, un peu fanés, comme il y en avait chez ma grand’mère. Dans un angle de la pièce, posé près de l’armoire, il y a un carton à chapeau, fermé par un ruban un peu jauni.

La chambre ne doit pas être utilisée souvent. Madame Morel s’est un peu repliée sur elle-même depuis la mort de son mari, il y a plus de vingt-cinq ans. Le lustre est en bois tourné, équipé de trois lampes, mais il donne une lumière qui reste très pâle.

Sur le mur qui fait face à la fenêtre, il y a un tableau, dans un cadre de bois argenté. Pastel très doux, plein de soleil : une fille sur une plage. Fond d’océan calme, ciel clair. Bleus.

Je vous ai dit que j’avais envie d’être seul. C’est raté. Je ne serai plus jamais seul. Je l’ai compris tout de suite. Appelez cela comme vous voudrez ... Vous y croyez, vous, au “coup de foudre”?
















Fille blonde, prunelles bleu-porcelaine, pommettes roses, bouche petite, rieuse. Elle porte une robe légère.


Les jeunes filles sportives en portaient de semblables au début du vingtième siècle. On les voyait courir sur les courts de tennis. La plage que l’on voit doit être l’une de celles de l’île de Ré, peut-être celle de Rivedoux ...

Je m’assieds sur la chaise. Non, vrai, vous y croyez, vous, au “coup de foudre” ?

Sous la gorge lisse, on sent le rire naissant. Le visage rayonne de santé. J’imagine la promenade. C’est en avril, ou bien au mois de mai. Retour d’un partie que l’on a gagnée, ou bien que l’on a perdue ... Qu’importe ! Dans les boucles des cheveux courts  passe le vent.


Je m’installe sur le lit, sans éteindre la lumière. Je ne dormirai pas.
Fou ? Oui, certes, si vous voulez dire amoureux fou ... Cela arrive, vous savez, et c’est ainsi que cela arrive : On ne s’y attendait pas. On n’y croyait pas !

Nous avons couru pendant des heures, sur la plage qui sentait le sel et le varech. Nous avons sauté par-dessus les chardons bleus et je crois bien, Annie, que je t’ai embrassée lorsque nous nous sommes écroulés ensemble, au creux de la dune. Oui, j’ai dû t’embrasser et tu riais, tu sentais la lavande et l’absinthe.


Il n’y a plus aucun bruit dans la maison. Il y a longtemps déjà que mon hôtesse a pris ses comprimés (Cela dort si mal, les vieux ! ) J’ai entendu le bruit du verre qu’elle reposait sur le marbre du chevet. Elle a toussoté un peu, puis ... Plus rien. Rien que le bois de l’escalier qui craque un peu, de temps en temps. À la seule qualité du silence, je sais qu’il bruine toujours, dehors. Une voiture passe. Ses pneus chuintent sur la chaussée mouillée.



Mon hôtesse a l’habitude de se lever de bon matin.

- ”Quand le comprimé ne fait plus d’effet.” dit-elle.

- “Mais je ne vous réveillerai pas. Bonne nuit !”

L’horloge sonne dans le salon. Une vieille horloge comtoise. Combien de fois l’ai je entendu sonner ? Je n’ai pas quitté des yeux le pastel. Le sable était chaud sous nos pieds. Les vagues bruissaient, mais nous ne les entendions guère. Tout juste un fond sonore, comme un orgue qui jouerait tout doucement.

Mon hôtesse a quatre vingt sept ans. Et c’est elle qu’un artiste inconnu a représentée sur la plage. Voilà que je suis amoureux d’une fille de seize ans ... Qui a quatre-vingt-sept ans maintenant !



Madame Morel n’a pas les joues trop ridées par l’âge. Elle a gardé les yeux bleus de son adolescence. Ils sont un peu délavés, mais encore rieurs et jeunes. C’est une vieille dame un peu tassée. Elle a pris trop de poids. Elle est très gourmande et elle mange trop. Ses chevilles sont gonflées. Elle ne sort plus guère de sa maison. Elle vit avec un petit caniche abricot que la femme de ménage sort chaque jour sur le trottoir ... Terrible ce caniche ! Adorable, mais terrible. Il a rongé les pieds de toutes les chaises.

Lorsque je veux faire plaisir à Madame Morel, il suffit que je lui apporte une bouteille de champagne.

-”On se fait un kir royal ? ”



C’est clair, me voilà amoureux de ma voisine, amoureux d’elle à seize ans, mais elle en a ... quatre-vingt-sept à présent ! Je me prends la tête dans les mains mais, quelle issue ? Vous pourriez renoncer à un amour, vous ?


En arrivant à La Rochelle, j’étais fatigué, je vous l’ai dit. Mais ce n’est pas ça ...



Je suis amoureux, amoureux vous dis-je, amoureux fou ! Je sais bien ce que c’est que d’être amoureux : Ce pétillement du sang dans les veines... Me sont venus aux lèvres des vers de Baudelaire, de Ronsard aussi ...

J’ai sursauté à un petit bruit; comme un trottinement de souris. Un cliquetis l’avait précédé de peu : Celui de la poire que mon hôtesse avait fait fonctionner pour éclairer sa chambre.




Et me voilà ici . J’ignore comment j’ai quitté la maison. Ai-je dit bonjour ? Ai-je dit au revoir ?
Je n’ai prêté aucune attention à la rue du Palais, qu’il a bien fallu que je descende. Je n’ai pas vu la Grosse Horloge, sous laquelle il a bien fallu que je passe. J’ai bien dû longer le vieux port. Il a bien fallu que je passe par le Gabut et la Ville-en-Bois, que je passe le pont. J’ai dû marcher à grands pas, les deux mains dans les poches profondes de mon manteau noir, sans chapeau, les yeux fixés sur le sol.

















Une mouette lance un cri lamentable. Quelque chose grince et claque, dans le bassin à côté. Au moment où je relève la tête, le vent me cingle le visage, d’un coup de torchon mouillé.



Je suis au bout de la jetée des Minimes. Je ne sais comment je suis venu là. Forêt de mâts à droite, et ce sont les gréements qui grincent. L’océan à gauche, comme un toit de zinc ou un vieux miroir terni. Je sais qu’en face il y a Oléron, Aix, Ré. Un éclair de lumière, c’est une vitre qui luit au cockpit d’un quelconque bateau ... Je me souviens de tout.





Je me lève, ivre, ou tout comme. Je m’approche du lavabo “ Jacob Delafont “, forme démodée. J’ouvre le robinet d’eau froide : chrome écaillé un peu, laissant apercevoir le cuivre sous-jacent. Je plonge les mains dans l’eau. Je les passe sur mes yeux. Eau chaude, rasoir, crème à raser ... Le miroir est ancien aussi, encadré de bois. Un peu piqué, un peu terni. Du coin de l’oeil, je regarde encore le pastel ...
-‘Annie ! Ô Annie ! “


Bruits de chaise à l’étage au-dessous. Je reste là, le rasoir en l’air. Et puis ... J’enfile mon pantalon à la va-vite, ma chemise, mes chaussures ... Je m’aperçois maintenant que j’ai oublié de mettre mes chaussettes.
J’ai endossé le manteau. Je suis sorti. Je sais maintenant que je n’ai dit ni bonjour, ni au revoir.

Je suis sorti comme ça, très vite. J’ai traversé toute la ville. J’ai parcouru plusieurs kilomètres. Je suis là, aux Minimes. C’est seulement maintenant que je réalise que la sirène de la tour Richelieu meugle de façon continue son cri de vache perdue. Pourtant, elle a dû mugir toute la nuit.

Il n’y a personne d’autre que moi ici. Le jour est blême. Je dois l’être aussi.

Un miroir ! Un miroir qui garde la mémoire ! Dites, vous pourriez y croire, vous ?

J’allais poser le rasoir sur ma joue. Dans le coin du miroir, reflétée, je voyais encore Annie, ses pommettes rosies par le vent ... Annie !

Le caniche geint quelque part. Je reviens au miroir. Il me renvoie l’image d’un monsieur à moustaches et favoris ... Rien à voir avec mon image qui aurait dû se trouver là. Un monsieur un peu raide. Il lève le menton pour boutonner son faux-col en celluloïd. Besicles et cordon noir tout l’air d’un instituteur, d’un « hussard noir ».

Un miroir qui restitue la mémoire ! Il ne pouvait s’agir de son mari. Ce devait être son père. Son père !

Annie a quatre-vingt-sept ans !







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