mercredi 13 janvier 2016

MAKATEA - L'ÎLE MARTYRE.























































Makatea




                 C’était, je crois, en 1969. Je naviguais dans les archipels   des Tuamotu.
                 Pour cette tournée, j’avais embarqué  sur un dragueur de mines de la Marine Nationale. Ce petit bâtiment s’appelait « La Paimpolaise ». Coque en bois, peint en gris, il avait été construit au Canada et faisait partie du même lot que ceux que j’avais connus aux Nouvelles-Hébrides et en Nouvelle-Calédonie : La « Dunkerquoise », la « Lorientaise » ... Bâtiments fiables mais dont la hauteur sur l’eau amplifiait le roulis et le tangage !
Nous étions partis pour Manihi, un atoll situé sur la route des Marquises, mais nous avions dû faire demi-tour et mettre le cap sur Papeete : En fait, nous avons mis en fuite devant un cyclone auquel nous tentions d’échapper. La mer était grosse quand le soleil se leva, d’un seul coup. La radio était rassurante : Nous étions sortis de la trajectoire de la tempête … Le Lieutenant de Vaisseau qui commandait le bâtiment décida de faire route vers Makatea.










       Ce qu'il reste aujourd'hui des installations portuaires ...


Allez donc comprendre quelque chose aux caprices des océans ! Tout d’un coup, les vagues s’étaient calmées. Nous naviguions maintenant sur une mer d’huile. Le ciel s’était dégagé comme par miracle. Il était juste un peu plus délavé que les flots. Au loin, vers l’Ouest, un point noir, comme un gros oiseau posé.

-      « Makatea ! », me dit le Commandant.

    Pour moi, ce nom évoquait des aventures du siècle dernier : Joseph Conrad nous parle des « îles à guano » … Des îles qui ont fait la fortune  de ceux qui les ont exploitées …

Makatea est une île comme il en existe peu dans les océans … En existe-t-il même une seule qui lui serait semblable ? C’était un atoll, comme tous les atolls de l’archipel des Tuamotu, dont elle fait partie. Elle se situe à peu près à mi-chemin entre Tahiti et Rangiroa, atoll au lagon immense. Mais Makatea n’a plus de lagon : C’est maintenant une île qui a été soulevée et qui se présente comme une table exhaussée, avec ses falaises de quatre-vingts mètres de haut …






Forces immenses, jeu de géants, jeu des dieux ou des démons : On suppose que l’atoll de Makatea a été soulevé lorsque les volcans de Tahiti ont émergé … Leur poids aurait fait mouvoir les fonds abyssaux et ce gonflement aurait exhaussé Makatea d’un seul bloc, récifs, roches et lagon tout à la fois. Le lagon, bien sûr, se serait asséché : Il était comblé par les sédiments organiques. Là était l’or que les découvreurs n’avaient plus qu’à ramasser à la pelle et à transporter à la brouette pour l’exporter vers les pays dont l’agriculture était en pleine explosion : Le Phosphate !


On attribue la découverte du phosphate de Makatea au Capitaine Bonnet, aux alentours de mille huit cent soixante. Dès mille huit cent neuf, l’exploitation était confiée à la Compagnie Française des Phosphates d’Océanie. À partir de là naît une histoire !

Nous étions presque arrivés. Les falaises se dressaient, hautes, rébarbatives, creusées de grottes. Dans une échancrure du terrain  apparaissaient quelques toits de tôles rouillées : Il y a eu là une ville de quelque trois mille habitants ! Une sorte de diplodocus de fer tendait le cou vers le large : Un cou de cent mètres de long, que l’on devinait repliable … Un convoyeur à tapis roulant.




Sous cette structure antédiluvienne et par deux cents mètres de fond flottaient deux ou trois bouées énormes, jaunes : C’étaient celles auxquelles venaient s’amarrer les cargos pour charger le phosphate amené jusque-là par le tapis roulant. Toutes ces installations étaient immobilisées depuis l’année mille neuf cent soixante-six … La ville était abandonnée, les ateliers évacués. Il ne restait plus, sur l’île, que deux ou trois personnes … Dix, tout au plus ! Nous n’en rencontrâmes que trois.

Pas de port, pas de quai : On débarquait de la chaloupe au pied d’un escalier, juste à côté d’un monte-charge.

Vous avez déjà vu du corail ? – Agglomérats de branches de calcaire, blocs vermiculaires ou en forme de champignons, cavités aux rebords acérés … Lorsque l’exploitation avait commencé, le sol, paraît-il, était plat, les cavités remplie par le sable phosphaté … Mais on avait vidé les creux à grands coups de pelle, posé des rails, un train circulait un peu partout et l’on en avait chargé les wagons. Lors de notre visite, les wagons étaient toujours là, vides et rouillés … Les locomotives étaient toujours là : Les cuves de fuel étaient pleines encore et l’on nous fit l’honneur d’un court trajet en chemin de fer !









                  La mine de phosphates en exploitation.





L’île est un plateau dont la longueur maximale est de sept kilomètres et demie, sa plus grande largeur étant de quatre kilomètres.

Horreur d’une île sacrifiée, inhabitable ! …

 Volets battant aux vents, portes ouvertes, béantes, sols défoncés, trous multiples, planches jetées en manière de passerelles …


Bâtiments publics à l’abandon : Église, temples, échoppes et magasins, hôpital, écoles, bars, ateliers et bureaux, forge, fonderie, gare et  … des lits que l’on a traînés dehors, puis qui ont été laissés là … Des casseroles, des assiettes, un pareo accroché aux épines d’un buisson … On songe à ces villes de bois, construites par les chercheurs d’or en Californie ou au Colorado, puis laissées à l’abandon : Les films de cow-boys nous en ont offert les images ! … On songe à Pompeï ou Herculanum.
Mais ici, aucun cataclysme n’est responsable du délabrement ni de l’abandon : Le rendement de l’exploitation n’étant plus rentable, on a arrêté les générateurs, peut-être a-t-on aussi fermé les robinets … Puis on est parti !






Ô, l’atelier de menuiserie ! … Sous la scie à ruban, sur l’établi, il y avait encore un petit tas de sciure pulvérulente, comme si le menuisier allait revenir dans un instant et reprendre son travail là où il l’avait laissé … Un calendrier pendait au mur, sur lequel on avait noté en regard des dates le nombre de cercueils  qu’il avait fallu construire : Une ville de trois mille habitants, on y vit, on y travaille, mais, bien sûr, on y meurt aussi !

L’exploitation avait employé des ouvriers de toutes origines : Des Polynésiens, bien sûr, mais aussi des Japonais, des Chinois … Des Annamites …


Hallucinant ! La Compagnie des Phosphates d’Océanie, en 1910 a extrait 12 tonnes de phosphates, en 1929, elle en tirait 251 tonnes, en 1960, elle enlevait 400 tonnes ! Durant toute la période d’exploitation, des ouvriers qui circulaient d’un trou à l’autre sur des passerelles de planches, qui creusaient le sable des phosphates à la pelle, qui roulaient leurs brouettes jusqu’aux wagonnets du chemin de fer, zigzaguant entre les excavations, qui s’enfonçaient au plus profond des grottes …. Des prêtres, des curés, des pasteurs, des épouses, des enfants, des commerçants, des mécaniciens, des bureaucrates, des administrateurs …



Et puis, tout d’un coup … On part en laissant les portes ouvertes : Clés sur les serrures, cuves pleines, matériaux et outils … Tout, on laisse tout et l’on en fait cadeau au Territoire, qui, transfère le cadeau à la commune … C’était en 1966 et le maire de Makatea se demande toujours ce qu’il va bien pouvoir faire pour réinsuffler dans son île un souffle de vie !

















               Épave : La locomotive abandonnée ...





Tourisme pour riches rêveurs ? … Il reste, sur Makatea, quelques crabes de cocotiers : On les mange et c’est, paraît-il excellent … Mais on peut aussi les naturaliser et les ramener chez soi pour les exposer sur les rayons de sa bibliothèque !

Se dresse sur celle île un bloc de pierre que l’on nomme la « Pierre Moa » … On voulait l’enlever pour en faire une stèle commémorative … On raconte qu’il fut impossible de l’arracher du sol : Même avec un hélicoptère, on n’y parvint pas … C’est l’esprit de Makatea qui est toujours là … Contrairement aux apparences peut-être, la vie est toujours là …








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