LE TOURISME
BORA BORA
1990
À Bora-Bora, l’île la plus vantée de Polynésie, l’hôtellerie
commence à souffrir, paraît-il. Pourtant, l’île a des atouts indéniables : Elle
est fréquentée par les Américains, qui l’ont occupée pendant la dernière guerre
puisqu’ils avaient là une base arrière pour leurs opérations dans le Pacifique.
Ils se souviennent de Bora-Bora comme d’un séjour idyllique, faisant contraste
avec les dures batailles des îles occupées par les Japonais ! Ce sont les
Américains qui ont construit ici la première piste pour avions gros-porteurs.
Les avions de ligne ont été tenus de se poser à Bora-Bora pendant de longues
années. On montait ensuite dans un hydravion pour gagner Papeete ...
L’île est à portée de dollars ... Encore que ... en ce moment !
Mais les pavillons de bambou, couverts de feuilles de pandanus ont bien de
l’attrait, d’autant qu’ils sont construits sur pilotis, dans un lagon qui est
une merveille ! La montagne est monobloc : un piton basaltique reconnaissable
entre tous et qui a pour nom Otemanu, ce qui signifie “l’oiseau”. Il fait assez
chaud, pendant toute l’année, pour que les plages soient plus fréquentées que
la montagne. L’île est fleurie. On vous fleurira aussi. On y a tourné des films
célèbres, dont “Hurrican”, qui en a fait l’éloge. On a conservé une partie du
décor de ce film, devenu illustre.
Les Japonais fréquentent beaucoup Bora-Bora ... Faudrait-il dire
”fréquentaient” beaucoup? Des lignes aériennes directes reliant la Polynésie à
l’Empire du Soleil levant assurent le remplissage des hôtels. Les Japonais
viennent beaucoup à Bora-Bora en voyage de noces. Mais qu’en est-il,
aujourd’hui, en ce qui concerne le “remplissage” ? Une loi, adoptée par le
Parlement français a créé des conditions fiscales d’exception pour les
investissements dans les Territoires et les Départements d’Outre-Mer. Cette loi
a surtout favorisé l’extension des flottilles de bateaux, à voiles ou à moteur,
ce qui a créé des emplois, bien sûr ... Encore que ces flottilles soient très
loin d’être utilisées à plein temps ! Les investissements immobiliers ont été
également défiscalisés, ce qui a permis d’accroître les possibilités d’accueil
de l’hôtellerie Polynésienne. Les investisseurs ont tout de suite vu les bonnes
affaires et l’on en connaît auxquels ces investissements ont permis de ne payer
aucun impôt sur le revenu. On commence à s’en préoccuper ... Mais on pourrait
parler, même, d’un afflux d’abus tel que bien des investissements ont été
défiscalisés alors même que leur réalisation est demeurée tout ce qu’il y a de
plus virtuelle.
Est-ce la raison pour laquelle, il y a quelques années, on
pouvait voir à Bora-Bora, tout près du débarcadère, sur une pente de la
colline, dominant les bleus, les violets et les verts du lagon, des traces de
gigantesques travaux demeurés inachevés, abandonnés? De larges saignées dans la
terre rouge, des terrasses comme autant de blessures non cicatrisées, des
bungalows, dont certains presque terminés, les rails d‘un funiculaire pour
éviter aux pensionnaires de l’hôtel d’avoir à gravir les pentes ... Je crois
bien, même que les installations pour motoriser ce funiculaire avaient été
construites ... Tous ces travaux sont restés en plan. C’est là, pourtant, que
devaient s’élever les installations d’un grand hôtel de luxe de la chaîne Hyatt.
En a-t-on fait quelque chose depuis mon départ ? Peut-être, après tout, cette
construction virtuelle n’était-elle qu’une opération de défiscalisation ? Ou
bien peut-être la chaîne hôtelière en question avait-elle senti qu’à force de
construire des hôtels sur la même île, on pouvait arriver à saturation ? ...
D’autant que le prix du voyage s’ajoutant à celui de la pension ! D’un autre
côté, le touriste ayant fait un séjour d’une semaine à Bora-Bora, au-dessus du
“Plus-Beau-Lagon-Du-Monde” s’est fait un superbe souvenir qui restera l’un des
plus beaux de sa vie ! Ô fantasmes !
L’hôtellerie
À Bora-Bora, on n’a pas encore clôturé la mer. On la voit de
partout en faisant le tour de l’île. Le charme d’une île, il vient bien de là ?
Au centre se dresse le mont “Te Manu”, (l’oiseau), mais faut-il
l’appeler un mont, un pic ? C’est un bloc de basalte poussé vers le ciel par
les forces internes, un roc d’une seule pièce, comme un énorme doigt dressé. Il
est magnifique. Des oiseaux blancs, du bas des falaises jusqu’en haut, jouent
au cerf-volant dans les courants d’air.
Bora-Bora, c’est pourtant un lagon, d’abord. Un lagon qui
pourrait bien ne pas avoir son pareil, enserré par des îlots verts égrenés en
collier tout long du récif. Le bleu du large vire au violet, puis au mauve vers
l’horizon. Ligne grise du récif, et les vagues en se brisant la frangent de
blanc. Taches vertes des “motus” puis, à l’intérieur du lagon, toutes les
nuances de bleu et de vert, avec des taches mouvantes et versicolores, là où le
corail affleure.
Souvent, un grand bateau blanc vient mouiller dans la passe.
Taches rouges des bouées et des canots.
Quel imbécile a voulu tirer deux vieux caboteurs au sec, pour en
faire des bistrots ? Y sont-ils encore ? Longtemps on les a laissés là, tas de
rouille à moitié immergés, le nez en l’air!
Il n’y a pas eu ici de Pearl-Harbour. On rencontre d’énormes
canons pourtant. Ils rappellent que les troupes américaines stationnaient là
pendant la dernière guerre. Mais les batailles sont demeurées lointaines.
Bora-Bora est devenue maintenant la destination préférée des
touristes américains et japonais, belligérants de naguère. Mais dans l’île il
n’y a qu’une seule plage de sable blanc. C’est une merveille, il est vrai !
Bien entendu, c’est là qu’ont poussé les hôtels, semant jusque
dans les eaux du lagon leurs bungalows sur pilotis : cloisons de bambous et
toits de pandanus. Exotisme garanti ! Au centre du plancher, dans le milieu du
salon, une vitre permet d’admirer les poissons qui passent. Un plongeur passe
la nettoyer tous les matins. C’est cher. C’est très cher. Mais c’est bien ce
qu’on a voulu, n’est-ce pas ?
Alors voilà: Sur cette unique plage blanche, les natifs avaient
l’ancestrale habitude de venir batifoler : pique-niques du dimanche, avec
nattes déroulées, pâté en boîte, glacières, coca-cola, bière “Hinano” et
musique ... Autrefois, on faisait griller du poisson et du “uru”, le fruit de
l’arbre à pain. On mordait dans les fruits et on se régalait avec du “poë”.
Il est maintenant devenu impossible de pique-niquer sur la plage
: trop de bungalows, trop de touristes ! ... En veux-tu ? - En voilà ! Le natif
a pris sa barque. Il est allé pique-niquer plus loin, sur les “motus”, sur les
îlots, tous bordés de sable blanc. Mais on n’arrête pas le tourisme ! ...
Passerelles lancées d’un bungalow à l’autre, wharfs tout en longueur, qui
s’étirent jusqu’à quatre cents mètres du bord de la plage. Les touristes aussi,
sont allés sur les îlots.
Et c’est le conflit. Celui qu’on aurait dû prévoir : Impossible
de pique-niquer sur la plage, impossible de pique-niquer sur les “motus”...
-” Eh ! Sommes-nous encore chez nous ?”
D’une passerelle à l’autre, les vahinés transportent toute la
semaine des plateaux de boissons fraîches. Mais le dimanche, il leur arrive de
partager la colère de leurs époux :
-” Sommes-nous encore chez nous ?”
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire