UN PÉLERINAGE ...
Aux Seychelles ….
Il y a occasion de s'enrichir
beaucoup, là où
s'assemblent les hommes, et il y a
beaucoup à
penser aux actes de foi. C'est
pourquoi je conterai
cette histoire ...
Elle débute au moment où se lève
Jeanne d'Arc,
( oui, ici, c'est un prénom
fréquent ...)
Jeanne d' Arc va sur ses soixante
douze ans ...
On ne saurait parler de printemps
sous ces
latitudes ... Sa jambe est bonne,
encore qu'elle
grippe un peu. Et qu'importe si
l'échine n'est plus
tout à fait droite ...
Elle passe sa robe à mille fleurs.
Ce n'est pas la plus
belle, mais elle est légère, et puis, le col
blanc, bien
repassé et amidonné a de l'allure encore.
Après
avoir bu une tasse de thé, grignoté
un biscuit,
Jeanne d' Arc se coiffe d'un
chapeau blanc à larges
bords : Celui du dimanche. Elle
saisit son bâton :
Un bambou sec et noueux, prend dans
l'autre main
son réticule et son missel. La voila partie
chez Jean
-Baptista, ( Mais oui ! ).
C'est là, juste à deux pas ...
Jean- Baptista achève
de chausser ses souliers plats.
Elle doit avoir à peu
près le même âge que son amie. Son
visage est d'un
brun sombre, creusé des longs sillons que
tracent
au long de toute une vie les
labeurs et les peines.
Elle ajuste ses lunettes, met ,
elle-aussi, son
chapeau blanc. Le rendez-vous est à
huit heures,
en haut du col de
"Sans-Soucis".
Il y a déja là toute une suite de
voitures, rangées à
la vaille-que-vaille, au bord de la
route étroite.
Jeanne d'Arc et Jean-Baptista sont
arrivées, elles,
en autobus. Au moment où elles
mettaient pied à
terre, un camion rouge déchargeait
une pleine
benne de jeunes-gens rieurs.
Il fait chaud déjà : Les lunettes
sont essuyées au
revers de la robe. On s'engage sur
le raidillon.
Il est embroussaillé, étroit, et
râpeux : Un vrai
sentier de chèvres ! Les enfants y
courent, les
jeunes-gens le gravissent d'un pas
déhanché, avec
la démarche balancée que donne
l'habitude des
pentes raides. Certains
transportent des postes de
radio, portés à pleins bras. C'est
par bouffées, au
détour du chemin, que parviennent
des bribes de
chansons françaises.
Les vieux sont plus lents, bien
sûr, mais le bâton
trouve son appui, le pied trouve
son assise. Il y a
toujours une main secourable qui se
tend aux
dénivellations les plus ardues.
Jeanne d'Arc et
Jean-Baptista, je crois bien,
chantent un cantique.
A-t-on grimpé pendant une heure, un
peu moins ?
Les canneliers embaument. De ci- de
là, un agave
s'accroche au rocher, acéré.
Quelques fleurs
mauves font taches sur le granit
gris. Un, deux
blocs énormes, plissés, tels des
éléphants couchés.
Il faut les contourner. Le granit
s'est figé là il y a
des millions d'années. La
fausse-vanille l'enserre
du réseau de ses lianes sans
feuilles.
Depuis longtemps déjà on a dépassé
les grands
albizias. On émerge tout à coup,
ébloui : La mer
envahit l'espace, montant à la
verticale, jusqu'à
Praslin, jusqu'à La Digue, et
Cousine, et l'île Aride.
Il n'existe nulle part un tel
rétable, nul vitrail
n'offre de semblables couleurs. Les
glacis tombent
à pic, lisses comme sucre coulé,
scintillants de
micas et de cristaux. Des arbres
nains se
cramponnent, pareils à ceux des
jardins japonais.
Erigées là par on ne sait quelles
épouvantables
forces, les roches forment
entassement,
accumulées, bousculées, droites ou
de guingois.
On s'assoit où l'on peut. Jeanne
d'Arc s'évente avec
son chapeau. La scène est biblique,
faisant songer
au Sermon sur la Montagne. Jeunes
nu-tête,
couleurs des robes, hommes en bras
de chemises
et le prêtre a le teint cuivré ...
Il porte une soutane
longue. Tout en bas la ville, ses
bâtiments neufs,
ses maisonnettes en bois grimpant
dans la verdure,
sa jetée, les bateaux, l'aéroport à droite, et
les
remblais gagnés sur la mer, et les
petites îles de la
rade...
Un cantique s'est élevé et je crois
bien que tout le
monde l'a repris. On se compte par
centaines
maintenant. Combien de centaines ?
_ Peut-être
quatre, peut-être cinq ...
Le pic sur lequel on se trouve est
l'un de ceux que
l'on appelle "Les Trois
Frères", le plus petit, le plus
au sud. Il y avait là, érigée en
mille neuf cent
cinquante six, une croix de bois.
Chaque année,
pour le Vendredi-Saint, la jeunesse
montait
nettoyer la croix et la repeindre.
Le temps, les
insectes, les pluies et les vents
ont fini par en avoir
raison.
Aujourd'hui, c'est Vendredi-Saint.
Un vrombissement, comme le
ronflement d'un
orgue qui enfle, approche,
s'amplifie encore : Un
hélicoptère monte à la verticale et
parvient à
hauteur de la foule. Pendant
en-dessous, au bout
d'un câble, une immense croix de
béton tourne
lentement sur elle-même. Au souffle
des rotors,
chacun se courbe, puis se redresse
: L'hélicoptère
est maintenant stationnaire.
Manoeuvre parfaite :
La croix est en place dans son
trou. On y coule du
béton ... On cale, en attendant la
prise.
Le père Lafortune, ( Ce nom ne
s'invente pas ! ) se
dresse plus haut que tous et bénit
la croix. De ses
quatre mètres, elle domine la
roche, à six cents
mètres au-dessus de la ville et des
flots. On doit la
voir de très loin, quand on vient
par la mer
... O ! Foi ! Qui se perd ici, se
conserve là, ressurgit
ailleurs ou bien flambe ! -
Ira-t-on, dans ce pays
qui se dit marxiste, dès l'an
prochain, en
procession, repeindre la croix au
jour du Vendredi
-Saint ?