_"Comme vous le savez sans doute, le coton, naguère, était
la principale ressource des Seychelles. Le commerce du coton était si actif
que plusieurs bateaux y étaient entièrement affectés ... Je venais d'être
nommé capitaine de l'un de ces bateaux, qui avait pour nom " Les
Six-Soeurs". Il jaugeait six cents tonneaux. J'avais vingt ans, l'esprit aventureux.
J'avais passé toute ma jeunesse à apprendre le métier. Ce commandement venait
me récompenser. J'étais fier d'avoir déjà accomplis trois voyages
et de les avoir tous réussis. Et puis ... Le ciel me précipita dans une
épouvantable apocalypse ...
_L e vingt sept juillet mille huit cent dix neuf, je sortais du
barachois de Mahé. J'emportais une cargaison de coton pour l'île Maurice. J'avais,
de plus, une trentaine de passagers à mon bord.
_" C'était un vendredi. Certains de mes passagers, par
superstition,répugnaient à partir ce
jour-là. Me rendant à leur désir, je mouillai en rade de l'île Sainte-Anne. Je ne fis hisser les voiles que le
lendemain, vingt huit juillet. Il était deux heures du matin. Le temps
était superbe et la brise était belle. Elle nous permit de filer sept à huit
noeuds pendant
_ "Nous voici au premier août. Il est huit heures du matin.
Je viens de quitter mon quart. Mes calculs me situent par 2°18 sud et 61° de
longitude est. Je suis las, je m'allonge sur ma couchette et j'attrape un
livre au hasard.
... Je l'ouvre ... C'est le récit du naufrage de la
"Méduse", tout récent encore. J'étais en train de m'apitoyer sur le sort de son
malheureux
équipage ... Une voix formidable retentit, venant des soutes ;
_" Au feu ! Au feu ! Nous brûlons !
À moitié nu, je cours jusqu'au gaillard d'arrière. Mon équipage
m'y attend,consterné. Je fais carguer le grand hunier. Je donne l'ordre de
puiser de l'eau le long du bord avec des seaux et de faire la chaîne
jusqu'à ceux qui se précipitent avec moi dans la cale ...
Parvenu sur les lieux du
sinistre, je constate que le feu a pris dans des balles de coton, entre le
pied du grand mât et l'épontille avant, sous des voiles de rechange. Cet
incendie ne peut être dû qu'aux marques, imprimées au fer chaud, que l'on a coutume,
aux Seychelles, d'appliquer sur les balles de coton.
Auprès de moi, il y avait M. Lesage, ancien représentant du
gouvernement anglais aux Seychelles.
J'aurais dû l'écouter : Il me conseillait de faire fermer hermétiquement toutes les ouvertures et de me diriger
vers la terre la plus proche. Hélas, je vois bien, maintenant, que j'aurais dû
suivre son conseil ... Mais je ne croyais pas le danger si sérieux que
cela, et je persistai dans mon attitude : A tout prix, je voulais essayer de sauver
mon bateau ...
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