vendredi 21 avril 2017

L'ESCALE ...


TRADITIONS

    FRANCO-

FRANCAISES



                                                 L'escale ...






 






On songe au décor d'une vitrine de Noël, bien

propre, bien rangée, colorée ... De celles qui font

rêver les passants ... La mer, un tantinet trop bleue,

 un tantinet trop calme ... La plage, un peu trop

blonde.


À quai, en pleine ville, il y a deux bateaux gris,

pavoisés. La montagne sert d'arrière-plan : Elle

est trop verte, couverte de falcatas et de canneliers

, ou encore de mahoganis ... Granits gris, granits

roses, fleurs, bananiers, disposés trop sagement.



               La route serpente, étroite. Des voitures

découvertes, rouges, jaunes ou bleues, montent et

 descendent, se doublent et se croisent. Dans ces

voitures, il y a des petits matelots tout neufs, avec

 des appareils photos pendus à leur cou, chemises

 blanches et pompons rouges. Le tout est bien net,

comme lavé par la dernière pluie... Les toits luisent,

 et les feuilles, et la route.























Les marins sont ceux du "Rhin" et ceux du

"Doudard de Lagrée". Ces deux navires en escale

"de représentation" sont basés à Djibouti. Ce sont

 deux "navires-ateliers". Ils remontent vers le

Nord, après avoir assuré l'entretien des navires

 stationnaires de la Réunion. Ils sont passés à

Mayote et à Maurice. A Victoria, les équipages

sont en "semi-détente" : Le matin, ils assurent

l'entretien du "Topaze", le vieux dragueur

Seychellois d'origine française. L'escale durera

quatre jours. Les après-midi, on fait le tour de

l'île en voitures de location, ou bien on se répand

sur les plages ... Deux mois plus tôt, avec le même

 programme, sont passés le"Protet" et le

"Jules Verne".










La tradition veut que, chaque fois, l'ambassade

envoie à tous les membres de la communauté

française des cartons dorés sur tranche :



" _ Le Capitaine de Vaisseau X, commandant le

Navire_atelier Y, prie monsieur Z et Madame, de

lui faire l'honneur de leur présence pour un

cocktail à bord, le ... à dix- huit heures trente".




Belles majuscules. Les lettres d'imprimerie sont

 splendides ... Monsieur et Madame sont très

honorés : La République s'apprête à les recevoir ...

 Sur les vaisseaux de la Royale ! _ Et qu'importe s’il

ne s'agit que de navires-ateliers : Il y a tout de

même un Amiral à bord, parfois !




L' Ambassadeur et Madame, Les Ambassadeurs

des autres nations représentées, le Chef de la

mission de Coopération française, une trentaine de

 coopérants français : techniciens et enseignants ...

avec leurs dames ... Il y a aussi tous les Français

tenant commerce ou siégeant dans les bureaux.

Les notables du pays, dûment invités, ne sont guère

 représentés : Sans doute y aurait-il là matière à

réflexion ... Mais, au fond, qui s'en soucie ?

Officiers à la coupée, tout de blanc vêtus, et

galonnés. Coups de sifflet comme au temps de la

marine à voiles : Monsieur l'Ambassadeur de

France et Madame montent à bord : Madame est en

noir, coiffure en vol-au-vent couleur aile-de

-corbeau... Madame chancelle, se rattrape à la lisse

 : L'échelle de coupée n'a pas été étudiée pour les

talons hauts ... Impassible, le Commandant salue.

Nouveau coup de sifflet : C'est pour le Haut

-Commissaire britannique, ( "Haut-Commissaire",

 pas "Ambassadeur":... Ceci pour marquer que les

 Seychelles appartiennent au Commonwelth et que

la Reine de Grande-Bretagne est ici chez elle. )




 







Sifflet de nouveau, pour Monsieur l'Ambassadeur

 de l'Inde et Madame, drapée dans un sari vert...

Les autres invités n'ont pas droit au sifflet ... Mais

Monsieur l'Agent Consulaire les présente au

 Commandant, dès qu'ils ont mis le pied sur le pont
. :
_ " Monsieur X, Ingénieur à l'O.R.S.T.O.M. et

Madame."


Le pont du bateau a lui-même l'aspect d'une vitrine

 toute propre, luisante et pavoisée de toutes les

couleurs. Une longue table y est dressée, garnie de

 verres pleins de liquides jaunes, roses, orange, ou

verts.


Des groupes se forment, s'agglutinent ... Chacun a

son verre à la main. Les alcools sont servis par les

matelots : Le whisky à la bouteille, le punch à la

louche, comme il se doit. L'équipage offre des petits

-fours sur des plateaux.


_ " Champagne ! C'est la République qui régale !

" Les officiers- Mariniers sont de service : L'un

d'eux courtise une jeune institutrice aux yeux clairs

. Elle le contraindra à aller chercher son sabre

pour ... sabrer la bouteille de Champagne !

... Comment et où cela se terminera-t-il ?


_ " Et cela marche à chaque fois, dit-elle, épanouie.
 "

Mais tous les Officiers et officiers-Mariniers

s'acquittent fort bien de leur mission : Nul invité

n'est laissé à l'écart. Reconnaissons qu'ils font cela

avec aisance :


_"La "Chevalerie française, Monsieur "...












Certains; même, y prennent peut-être du plaisir

... parlant de tout et de rien ... Comme il convient !

_ " Combien d'hommes à bord ? "


_ La question est rituelle, inévitable ...Cette fois-ci,

 il y en a trois cents.


_ " Et l'armement ? " ... Pas de chance : Un navire

-atelier est presque désarmé.

_ " La plate-forme pour hélicoptère ? "

_" Oui, nous pouvons en loger un dans le hangar". "





 






_ " Et Djibouti, c'est comment ?"

_ " Chaud. "


_" Connaissez-vous Z ? C'est mon cousin : Il est

embarqué à Toulon."


_ Réponses appliquées, bienveillantes ... Mais on

entend aussi un midship répondre :


_"Vous savez, moi, la Marine, je ne suis pas marié
avec elle : Encore six mois, et puis je me tire ! "


Le médecin du bord cherche un confrère civil.

Une jeune visiteuse cherche le Commissaire :


"_ Avez-vous vu le Commissaire ? C'est pour

savoir si l'on vend des parfums à la coopérative

de l'équipage ..."

_ « Bien sûr, on en vend, et puis on vend aussi

des carrés de chez Hermès » …


Un civil, pansu, arbore une lourde chaîne d'or

autour du cou. Au majeur brille une grosse

chevalière du même métal :


_ " Je veux acheter une plaque de bouche pour

ma collection, avez-vous des plaques de bouche ?"














Il est patron de bistrot à Victoria. C'est un ancien

marin ... Du moins, il le dit ... Tatouages sur les

bras comme preuves à l'appui, bien visibles.

Monsieur l'Agent Consulaire est très affairé : Il

lui manque une jeune-femme pour composer la

table du Commandant. Il s'adresse à l'institutrice

 qui faisait sabrer le Champagne tout à l'heure

_ Sa voisine, jeune agrégée à chignon s'offusque

de ce choix .



 





Traditions ... Traditions ! Le Commandant d'une

Corvette ou d'un vaisseau de haut-bord, autrefois
,
ayant fait carguer les voiles, recevait à son bord

une communauté nationale qui n'avait guère

d'autres occasions de voir flotter son drapeau et

 d'entendre parler sa langue.

Le bateau en escale représentait la mère-Patrie.

Mais, de nos jours, Mahé reçoit chaque jour

plusieurs avions longs-courriers, en provenance

de Londres, Paris, Francfort, Rome ou Singapour

... Chaque avion débarque ou rembarque son flot

 de touristes à chapeaux de toile et à chemises

bariolées. Est-ce à cause de cet anachronisme que

les conversations, aux escales des bateaux, sont si

creuses, si vides ?












Quelques jours plus tard ...chez certaines jeunes

-femmes sans maris, on peut reconnaître un

bibelot sur un meuble ...

Une jolie "rose des sables" venant de Somalie ...

 Hommage du marin passant

... Ah ! Les escales ! ...




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