mardi 11 avril 2017

NOTRE NAVIRE, EN FLAMMES, AVAIT DÉRIVÉ VERS LE NORD ...












_"Le temps était couvert ... La brise était faible,

 soufflant du sud-sud-est. Barrant avec deux

avirons, nous maintenions le cap au sud-ouest.

Nous avancions à peu près d'un mille à l'heure.

Il était dix heures du matin. Notre navire en

flammes avait dérivé vers le nord depuis que nous

l'avions quitté ... Nous avions vu successivement

tomber ses trois mâts. Il ne nous apparaissait plus

qu'à travers un épais nuage de fumée sortant de

sa coque en feu. En tombant, chaque mât avait

 déclenché une explosion, faisant jaillir des

morceaux de bois comme autant de langues de

feu déchirant le nuage ... Mes yeux, bien malgré

moi, ne pouvaient se détacher de ce spectacle.

Ah ! Monsieur ! Qu'elles étaient tristes, les pensées

qui m'assaillaient ! Par combien de sophismes,

imaginant quelque miraculeux sauvetage, n'ai-je

pas lutté contre la certitude de notre perte !










_" Je vous l'avoue franchement ... Ce que je

craignais plus que la mort, c'était la perte de ma

réputation ... Quel triste cadeau à faire à ma

famille que celui d'une mémoire souillée par des

 médisances et des supputations ! N'allait-on pas

me rendre responsable de la mort de tant de gens

 confiés à ma sauvegarde ? N'allait-on pas attribuer

 cette catastrophe à mon imprudence, à

l'insuffisance de mes capacités peut-être ? Mon

coeur était brisé par ces pensées ...












_" Vers quatre heures de l'après-midi la fumée qui

 enveloppait les "Six-Soeurs" se dissipa un peu.

Il nous sembla que seule sa proue flottait encore ...

 L'arrière devait avoir entièrement brûlé ou bien

avoir coulé. 

_" A cinq heures, la mer avait beaucoup grossi.

Elle était devenue franchement mauvaise.

Sans relâche, il nous fallait écoper l'eau qui

embarquait à chaque instant ... Nous rentrâmes

les avirons devenus inutiles et les vents nous

portèrent à l'ouest-sud-ouest. La nuit venue,

nous avions définitivement perdu de vue les

"Six-Soeurs". Le ciel, d'ailleurs, était si nuageux

que la lune nous était cachée, alors qu'elle était

dans son plein. Le vent soufflait avec force, la

mer déferlait contre la coque de notre

embarcation. Nous étions lentement poussés

sous le vent. Nous n'avions pas de lumière, nous

 embarquions des lames énormes et nous ne

savions pas quelle route nous faisions.

Les ténèbres, le fracas du vent et de la mer,

les eaux phosphorescentes ... Lugubre tableau,

bien fait pour saisir d'angoisse l'âme la mieux

trempée ! Cette première nuit fut remplie

d'horreur et sembla durer une éternité ...

_" Au lever du jour, le temps se calma et nos

angoisses s'apaisèrent un peu. Nous étions le

deux août. A midi, nous avions fait le point, qui

nous situait par 20° de latitude sud. On distribua

à chacun une banane et un morceau de la tige à

laquelle le régime est suspendu. Nous sucions la

sève âcre de cette tige pour nous désaltérer ...

Malgré ceci, la soif revint, tellement impérieuse

pour certains d'entre nous que je résolus,

autant pour donner l'exemple que pour satisfaire

un besoin, de vaincre ma répugnance et de boire

mon urine. Pusieurs en firent autant et cela nous

procura un grand bien-être. Je remarquai que, sans

doute par suite de nos privations, quelques jours

plus tard, l'urine, en se refroidissant, perdait sa

mauvaise odeur et désaltérait beaucoup mieux.











_" Vers quatre heures de l'après-midi, la brise

redevient très forte et la mer est plus mauvaise

que jamais ... Je fais assurer solidement tous les

objets indispensables, en les attachant aux bancs.

Je fais fermer tous les caissons qui contiennent

nos maigres provisions. 









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