_ XI _
Ne pas s'éloigner de cette île ... Qui sait
où nous
pousseraient les courants ? ... Jusqu'au cap
d'Ambre, pointe de Madagascar ... À cinq
cents
kilomètres plus au sud ? ... Est-on bien sûr
de
ne pas dériver beaucoup plus loin encore, plus
à l'est ? .. Combien de bateaux, perdus
ainsi, ne
sont jamais revenus ?
... Combien de jours tiendra-t-on, combien
de
nuits ? ... La soif, la faim, le soleil, le
sel ...
Qui sera le premier à perdre la raison ?
_ Madame Arissol, de Côte-d'Or, sur Praslin,
semble bien faible ...
_ XII _
On approche doucement, et le vent est
portant
... On distingue, parmi les cocotiers, la
case de
l'administrateur ... On allait arriver ...
On allait
toucher la rive ... Et puis le vent est
devenu
contraire et le bateau s'est éloigné ...
L'île est loin déjà, quoi que l'on fasse
pour
essayer de rester auprès d'elle ...
Gémissements,
cris
... D'autres se taisent, consternés ...
Monsieur Corgat saisit deux bouts de bois,
y fixe deux plaques d'aluminium qui
traînaient
là : Ce sont des avirons qu'il a fabriqués
...
Quels avirons ... Dérisoires ! ... Un bateau
si
lourd ! Un bateau de bois de takamaka ...
Un bateau de trente cinq pieds ! ...
Dix personnes à bord ! .. Et les vents
contraires !
... A
l'arrière du bateau, Monsieur Corgat rame,
rame
de toutes ses forces ... Dérisoire! Il rame
pourtant ... Il rame de toutes ses forces
...
Il s'arqueboute ... Plus fort encore ! ...
Un hurlement : Terrible douleur dans le ventre
:
Monsieur Corgat jette ses rames : Il abandonne
, s'étend sur le pont et ne bouge plus :
L'effort a
été trop violent : Rupture d'un vaisseau
sanguin
, sans doute ... Hémorragie interne
...
_ X III _
Je vous avais bien dit que mon histoire
était
terrible ... Mais écoutez le conteur :
L'histoire
n'est pas finie, et la suite est plus
terrible encore
...
Jusqu'à la fin, c'est une terrible histoire
comme en savent les marins ...
C'est une histoire vraie : Demain peut-être,
vous
rencontrerez quelqu'un dont un deS parents se
trouvait parmi les dix passagers de la
"Marie-Jeanne" ... La
"Marie_Jeanne", du Port
de Victoria ... Qui a dérivé sur l'océan
pendant
des jours et des nuits, depuis le trente et
un
janvier, (c'était un samedi ) ...
Depuis le trente et un janvier mille neuf
cent cinquante trois ...
_ XIV _
Monsieur Corgat a laissé tomber les rames.
Il s'est couché pour ne plus se relever ...
Bateau trop lourd, courants trop forts ...
Vents contraires ... Rames trop faibles ...
Le soleil brûle comme jamais et le bateau
dérive
, dérive ... On entend à peine gémir le
blessé ...
Prostrés, les neuf autres se taisent ...
Quelques uns cherchent encore à l'horizon
...
Espérant quoi ?
... La main de Dieu ou la main de
l'"Autre",
« celui que l'on ne nomme pas » ?
...
Dérive vers l'ouest ... Plus de terre en vue
...
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