LA MARIE-JEANNE
( SUITE-
XXVI à XXXI )
_ XXVII _
Deux femmes et huit hommes sur un bateau,
un bateau en bois de takamaka ...
Dix personnes parvenant à bon port, de
retour
de Praslin ... Praslin que l'on aperçoit
dans l'est,
ligne
bleue et verte ... Dix personnes fatiguées
qui ont hâte de retrouver leurs amis, leurs
parents, leurs familles ... Dix personnes
remerciant Dieu de les avoir conduites
jusque
là ... Et puis ...
_ XXVIII _
Terrible histoire ... La Providence a ses
détours
et la vie est bien dans les mains de Dieu
...
mais écoutez bien encore ... Que votre
attention
soit
soutenue, parce que je vais vous conter
tout entière l'histoire des dix passagers de
la
Marie-Jeanne, ballottés par les flots en ce
mois
de février mille neuf cent cinquante trois
...
Dix passagers dans la main de Dieu, à moins
que ce ne soit dans la main de Celui que je
ne
nommerai pas ... Terrible et véridique
histoire
que vous conterez ensuite à vos enfants, le
soir
à la veillée, lorsque le vent soufflera à la
pointe
Police ou à la pointe Glacis ...
_ XXIX _
Le bateau arrive près de l'île Sainte-Anne
...
On distingue parfaitement le moindre caillou
sur la plage où s'installèrent, au dix
huitième
siècle, les premiers colons ...
Les cocotiers s' ébouriffent sous les
rafales,
les vagues brisent sur les roches qui sont à
l'est .
..
Le moteur s'arrête ... Plus d'essence ...
Inutile d'essayer d'aller plus loin ...
Mais on est presque entré dans le lagon ...
Là, à quelques encablures ... On sera à
l'abri,
en sécurité ... On aura tout le temps
d'attendre
des secours ou d'inventer quelque manière de
faire des signaux ... Va donc ! ... On
mouille
l'ancre ... On file la chaîne ... On dresse
un
bambou en haut duquel on attache un morceau
d'étoffe pour attirer l'attention de ceux qui,
de
Mahé, ne peuvent manquer de voir le bateau
immobile...
_ XXX _
Attendre les secours ... De Mahé toute
proche,
quelqu'un ne peut manquer d'apercevoir la
Marie-Jeanne ... Des secours vont venir ...
La chaîne de l'ancre casse ... Net ...
Le bateau devient le jouet des flots ...
Va-t-il se briser sur la côte de l'île
Sainte-Anne ?
...
Mais le vent pousse au large, vers le sud-est.
La
Marie_Jeanne s'éloigne ... Le soir tombe ...
Il tombe très vite, comme toujours ...
Les lumières s'allument sur Mahé ... Elles
sont
très nombreuse, là où se trouve Victoria ...
Elles se font plus lointaines, s'amenuisent
petit
à petit, s'éteignent ... Disparaissent tout
à fait ...
C'est ainsi que les dix passagers se
retrouvent
perdus sur l'océan ... Après avoir été si
près du
but !
... Lumières de Mahé : Celles du Mont
Buxton,
celles de l'Anse Royale, de l'Anse
Marie-Louise,
de la Pointe-du-sud ... On a aperçu plus
tard
quelques lumières au nord : Celles de
Praslin,
puis celles de l'île de La Digue ... Comme
autant
de
bougies allumées par des hommes et des
femmes en prière ... En prière pour les
disparus
...
Ceux dont on ne sait où ils sont, mais que
l'on cherche, que l'on va chercher, dès le
jour-venu ... Les histoires seychelloises
sont
remplies des récits des aventures des
bateaux
disparus ... Que l'on a retrouvés ...
Mais nombreuses sont aussi les histoires des
disparus que l'on n'a jamais retrouvés ...
_ XXXI _
La Marie-Jeanne dérive toujours vers le
sud-est
...
Mon Dieu, que l'océan est grand !
_ On avait réussi à manoeuvrer tant bien que
mal, grâce à une voile de fortune....
On avait réussi pendant trois jours à se
maintenir en vue de la pointe Capucin,
extrémité sud de Mahé ...
. Depuis longtemps le vent est tombé, la mer
est
plate ... On avait espéré, pourtant :
La direction dans laquelle on allait
laissait
supposer que l'on passerait près de l'île
Frégate
située, environ, à une douzaine de
kilomètres
dans le sud de La Digue ...
A une quarantaine de kilomètres de Mahé ...
Dire que l'on était parvenu jusqu'à
Sainte-Anne,
c'est
à dire à moins de quatre kilomètres de
Mahé, à vol d'oiseau !
Frégate fait partie d'un archipel d'îles
hautes,
granitiques ... On ne pouvait manquer
d'apercevoir son relief ... Eh bien on ne
l'aperçoit pas ! Était-on passé trop à l'est
?
Au début, on n'avait pas pris les choses de
façon trop tragique, tant on était certain
que les
amis
faisaient le nécessaire pour organiser les
recherches : On allait apercevoir un bateau,
un
avion peut-être ? ... On avait guetté,
guetté ...
On s'occupait comme on le pouvait, pour
meubler le temps, pour essayer de ne pas
penser ... On avait plaisanté même, raconté
des
histoires, des galéjades et des devinettes :
_"Tic tic dans coin Sirons d'âne ! Zan
baquette ...
Aux deux femmes qui avaient peur, les jeunes
avaient lancé pour les taquiner :
_" Attention ! Requins y a manze ou !
"
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