LA
MARIE-JEANNE
(SUITE)
_ XV _
Auguste Lavigne parle de sa maison, de sa
mère
de
son père, de ses frères et soeurs : Les reverra
-t-il ? ... Quelle angoisse doit-être la
leur !
_ Bien sûr, on doit les chercher ... Mais
ils sont
si loin, perdus depuis si longtemps !
... Si son frère, Jules, allait disparaître
avec lui !
Ô ! _ Les chemins de la
montagne de
"Sans-souci" ! ... Canneliers
odorants dans les
douces soirées ... Canneliers aux feuilles
jeunes
colorées de rose et de rouge ... Cultures de
thé
sur les pentes, en rangées alignées : Chaque
plant de même hauteur que l'autre ...
Tous les matins, les cueilleuses passent
avec
leur hotte dans le dos ...
Chansons des cueilleuses, et pourtant le
travail
est dur, la pente est rude ... Au lointain,
les
pointes rocheuses que l'on appelle
"Les Trois-Frères", qui
surplombent la ville,
laquelle dégringole jusqu'au bord du lagon
...
Sur l'un des rochers, on a planté une croix.
Elle est l'objet d'un pèlerinage : Chaque
année
la procession y grimpe et l'on repeint la
croix ...
Chants, prières, bénédiction ... Joie !
... Les nappes sont étalées, on sort des
paniers
les victuailles et la boisson ...
_ " Jules, tu m'entends ?"
Jules a entendu son frère. A quoi
pensait-il, lui ?
_" Maman, maman ... Comment
résisterais-tu
à la douleur de perdre deux garçons à la
fois "?
_ " Ous pas un z'homme ... Assez
plaigne ous
misères ! "
_ XVI _
_" Assez plaigne ous misères ! "
...
Mais trois ... quatre personnes
ont crié
ensemble, dressées, se tenant au plat-bord :
_ " Une île ! Une autre île ! ..."
_ " Providence ... Ce ne peut être que
l'île
Providence ", crie Antoine Vidot, le
mécanicien.
_" Providence ... Providence la bien-nommée",
approuve Louis Laurence : Il a tant
fréquenté
ces parages : Il connaît toutes les îles,
même les
plus
petites ! ...
Aborder ... Aborder Providence ! ... Jésus,
doux
Seigneur ... Doux Seigneur que j'honore chaque
année
pour la fête-Dieu ... Doux Jésus que je
prie chaque année en suivant la procession
...
Doux Jésus ... Quand sonnent les cornets,
les
clairons, les pistons ... Quand battent les
tambours ... Quand sonnent les caisses et
les
cymbales ... Bannières dorées, brodées,
robes
de tulle rose, de tulle blanc, messieurs en
costumes sombres, chemises blanches,
cravates
et
noeuds- papillons ... L'ostensoir d'or, les
fumées de l'encens qui montent au ciel ...
Les
fumées de l'encens montent au ciel et les
prêtres balancent les encensoirs ... Mon
Dieu ...
Mon Dieu ! ...
_ XVII _
Eh bien non ! Le conteur vous avait bien
prévenu : L'histoire qu'il vous raconte est
terrible : Elle rebondit d'horreur en
horreur ...
C'est une histoire vraie cependant ...
Absolument vraie ...
La Marie-Jeanne n'abordera pas
l'île
Providence... Les vents ont tourné encore
...
Efforts ... Vains efforts ... Il ne reste
plus qu'à
espérer en la véritable Providence ...
Mais celle-là, on peut aussi bien
l'atteindre
mort que vivant !
_ " Que Votre volonté soit faite et non la
mienne ... " C'est la véritable entrée
en agonie ...
_ XVIII _
À cette heure, les enfants sortent de
l'école...
De Mont-Fleuri, passant par le jardin
botanique
les
jeunes filles, jupes bleues et chemisiers
blancs ont cueilli des fleurs d'hibiscus ...
Certaines en ont planté dans leur chevelure
...
Elles cheminent maintenant ... Elles
monteront
la côte du chemin dit " La Misère
", passeront
devant la boutique du boulanger ... L'odeur
du
bon pain chaud ! ... Dans un parc, entouré
de
rochers, quatre ou cinq tortues éléphantines
dorment, le nez contre la roche ...
De la musique sort par la fenêtre d'une
maison
.. Romances ... A l'arrière, d'un autobus,
de gros
poissons d'argent sont accrochés par la
queue..
. "Madame Paton", le héron blanc,
est perchée
tout en haut d'un albizzia ... Elle
s'envolera
pour aller quérir sa pitance, tout à
l'heure, sur
la place du marché ...
En face, dans le lagon, des bateaux se
faufilent
entre l'île Sainte-Anne, l'île Ronde, l'île
Cachée,
l'île Cerf et l'île Anonyme ... Des bateaux
... Et ...
Au-delà du récif, la vague écume en se brisant
sur une roche ... La vague, la vague ...
Regrets ? Pensées ? Désespoir ? ... Ou bien
le
délire déjà, sous le soleil ardent ? Comment
ne
pas penser à ceux qui sont là-bas ? ...
À ceux qui sont dans l'angoisse ... À ceux
qui
cherchent ... À ceux qui désespèrent ...
Car beaucoup désespèrent sans doute ...
Là-bas, les cloches sonnent ... Sans aucun
doute
le
prêtre dit l'Office ... Les gens prient ...
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