vendredi 21 juillet 2017

LA MARIE-JEANNE - ( XXXII-XXXVI )




LA MARIE-JEANNE


                                     ( SUITE- XXXII- XXXVI)







_ XXXII _






Tous les passagers de la Marie-Jeanne étaient

certains que des secours allaient bientôt les

tirer de là ... Et puis, on avait quelques vivres ...

De quoi durer une dizaine de jours en se

rationnant raisonnablement : Il y avait une

caisse pleine de manioc, des mangues, des

papayes, un giraumon ... Le cuisinier, Noël,

préparait ces aliments en faisant de son mieux.

Il faisait de petites rations : Savait-on pendant

combien de temps on allait dériver sur cet

océan ? Antoine réussit à capturer deux petits

"fancins", Noël les fit bouillir avec le giraumon. 


L'espoir demeurait : On avait quelques vivres et

 les secours arriveraient certainement bientôt ...

Au bout de dix jours, il ne restait plus rien à

manger ... Rien du tout ...

Ce qui s'appelle rien de rien ! On aurait bien

pêché, mais on n'avait pas de ligne ...

Des poissons-volants, de temps en temps,

sautaient hors de l'eau ... Mais que faire d'autre

que les regarder ... On les regarde ...

Pas pour les admirer ...
                                                    
 Si    seulement quelques-uns pouvaient avoir

la bonne idée de retomber sur le pont du bateau

 ... (Cela se voit assez souvent, ces choses-là ! ).

Justement, l'un de ces poissons saute, et

retombe entre deux sièges ... Selby se précipite

et l'empoigne ... Il est tout petit ...

On le met en morceaux aussitôt.

Un peu plus tard, l'une des deux femmes en

attrape un autre. 

Deux petits poissons pour dix personnes ...

On pense à la multiplication des pains et des

poissons dont parle la Bible ... Mais ici, pas de

multiplication !










XXXIII




Un oiseau de mer se pose à l'avant du bateau ...

 Un oiseau de mer, ce n'est pas un régal ...

Mais cela se mange, un oiseau ! ...

C'est un "fouquet" _ Ne bougeons plus, faisons

silence ... Louis Laurence, le capitaine,

s'approche doucement, doucement, sans

mouvement brusque, sans aucun bruit ...

Chacun retient son souffle ... Vlan! ... Il est pris !

Cris de joie !

Noël plume l'oiseau, le fait cuire et donne à

chacun sa part ... Ô! Une bien petite part, mais

c'est toujours cela et l'on tiendra plus longtemps

grâce à cette nourriture envoyée par le ciel ...

Dans les jours suivants, dans les semaines

suivantes, on prendra sept autres "fouquets" ...

C'est tout ce qu'on aura à se mettre sous la dent

 pendant les quarante-cinq jours qui vont suivre

 ...

Vous avez bien entendu : J'ai dit quarante cinq

 jours ... 












_ XXXIV _





Après avoir presque touché l'île Sainte-Anne, à

moins de deux milles marins de Victoria ...

On allait dériver encore pendant quarante-cinq

jours ! La torpeur s'installe. Plus personne ne

plaisante, plus personne ne rit, plus personne

ne chante ni ne parle ... Chacun songe ou

divague ...

_ "Bien sûr, les amis nous recherchent, mais

l'océan est si grand" ! 

_ De l'eau ... De l'eau douce ... être si malades

de soif alors que l'on se trouve au milieu de tant

 d'eau ! Il n'y a pas une goutte d'eau douce à

bord, et c'est la plus grande souffrance que l'on

puisse imaginer : On a bu de l'eau de mer,

même ! 












Ô! L'eau que l'on boit ! ... L'eau avec laquelle

on se lave, celle dans laquelle on rince le linge,

celle dans laquelle on se baigne ... L'eau qui

dégouline des toitures lorsque l'orage crève

au-dessus des habitations ... L'eau qui dévale

sur les routes pentues : torrents d'eau boueuse,

torrents d'eau claire, torrents qui arrachent les

arbres, qui emplissent les citernes, torrents

dans le cours desquels les enfants jouent ...

Des coques de noix de coco, des feuilles qui

ressemblent à des bateaux courent, sautent,

bondissent, tournoient, puis courent encore ...

Larges feuilles de bananiers ou de tarots que

l'on tient au-dessus de sa tête en guise de

parapluie ... Le visage qui ruisselle, et le plaisir

de ce ruissellement ... Crépitement des gouttes

tombant dru sur les tôles et sur les feuilles...

Clapotement des semelles dans les flaques,

partout ... Pluie qui lave la nature de sa

poussière, pluie qui abreuve les jardins, pluie

qui fait sortir de leurs cachettes les gros

escargots achatines ... Il paraît que l'on va

construire un barrage entre deux montagnes,

pour retenir l'eau ... 


Dire que l'on a pesté parfois contre la pluie :

Allant à l'église, on a reçu l'averse : On est

trempé ... Il a plu le jour des communions

solennelles, la procession a été manquée ...

Il pleuvait ... Et l'on avait oublié son parapluie ... 

Les naufragés ont imaginé d'arracher aux sièges

 du bateau les toiles qui les recouvraient :

En les étendant, en les laissant se tremper sous

la pluie, on pouvait ensuite les tordre et laisser

couler dans les bidons l'eau dont ils s'étaient

imbibés ... On ne manquerait donc pas

véritablement d'eau de boisson ... Pourtant, on

a soif ... On a toujours soif ... On ne peut pas

éteindre cette soif tant le soleil darde tout le

jour, tant il fait chaud ... dans la cabine encore

plus qu'à l'extérieur ... Mais à l'extérieur, les

yeux et la peau sont brûlés par le soleil ...

Où se mettre ? 












_ XXXV _




Ils sont dix : Deux femmes et sept hommes ...

Leur bateau dérive depuis des jours et des jours

, des nuits et des nuits ... Des semaines ...

Va-t-on dériver ainsi pour l'éternité ? ...

L'éternité ... L'éternité ...

Au matin du onze mars, quarante et un jours

après l'embarquement, Ange Finesse rend son

âme à Dieu, sans agonie apparente ...

Depuis quelque temps, elle passait tous ses

jours, toutes ses nuits à dormir ... 

_ On peut donc en mourir ? _ Au comble de

l'émotion, on se rassemble autour de sa

dépouille ... Voici la première victime de leur

commun martyre ... Quelle sera la prochaine ?

 ... Dans combien de temps ?

 _ Prière, dite à genoux ... Jules Lavigne dit les

"Notre-Père et les "Je vous salue Marie".

Quelques sanglots étouffés : Cérémonie lugubre

 qui dure de longues minutes ... 

Il faut bien se débarrasser du cadavre...


On le jette à la mer ... Il flotte ... Dernier signe

 de croix dans sa direction, puis on détourne

les yeux ... Chacun reste muet, prostré ...

A-t-on encore véritablement la force de penser ? 















_ XXXVI _



Mais le conteur va vous prier de l'écouter

encore : Le plus dur n'est pas encore venu ...

Pour l'instant, à bord de la Marie-Jeanne, neuf

personnes restent vivantes ... Et le bateau est

toujours perdu dans l'infini. Pourtant, le

conteur va cesser un instant de parler d'eux :

Comment se fait-il que personne ne soit venu à

leur secours ? _ La cohésion sociale est grande

aux Seychelles ... Il serait absolument

invraisemblable que personne ne se soit

préoccupé des disparus ...                                             

Tellement invraisemblable que cela ne peut

même être envisagé ...





En fait, à Mahé, l'inquiétude est à son comble

dès le premier jour : Qu'est-il arrivé ?

Le bateau aurait-il coulé et les amis auraient-ils,

 en fin de compte, été dévorés par les poissons?

Les familles des disparus sont dans la plus

grande angoisse ... Chez les Corgat, les Lavigne,

 les Laurence, on a les yeux rouges d'avoir

pleuré et d'avoir passé les nuits sans dormir. 

Dès le deux février, la "Paulette" effectue des

recherches entre Mahé et Praslin. Le trois, les

secours s'organisent, les capitaines de bateaux

se concertent ... La Marie-Jeanne a dû dériver

vers l'est ... On décide d'envoyer les secours

dans cette direction ... Deux bateaux sont

préparés : le"Marsouin", commandé par le

capitaine Harvey Brain et la goélette "Altaïr",

du capitaine Clark ... Le trois février, ils quittent

 le port de Victoria pour explorer les environs

de Mahé ... Ils ne trouvent rien, hélas ! ...

Comment aurait-on pu savoir que ceux de la

"Marie-Jeanne" avaient gréé une voile de

fortune et que le bateau s'était ainsi écarté de

 Mahé plus vite qu'on ne le présumait ? 

Seconde expédition : Le "Marsouin" repart,

accompagné cette fois de l' "Arne", du capitaine

 Delafontaine. On cherche loin : Jusque dans les

 parages de Coétivy, dans les archipels du sud ...

 Vaines recherches encore !







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire