lundi 24 septembre 2018

MAKATEA - L'ÎLE AUX PHOSPHATES






    MAKATEA

            L'île aux phosphates ( années 80)




















Makatea est une petite île complètement

 isolée entre l’archipel des Tuamotu,

composé d’atolls, et les îles du Vent qui

incluent Tahiti.

C’est sans doute un ancien atoll, mais il a été

surélevé par des mouvements sismiques et l’île

se présente maintenant comme une terre assez

plate, une sorte de table dont les falaises s’élèvent

 bien à trente mètres de haut.

 

Tu arrives avec ta goëlette, en labourant

les flots, la plupart du temps. Mais le

jour où j’y suis allé l’océan était calme,

avec une houle profonde et longue qui

donnait l’impression d’une respiration

monstrueuse.



Makatea, tu la distingues depuis assez

longtemps lorsque tu t’en approches :

À cause de sa hauteur, tu la découvres à

bonne distance, se détachant sur l’horizon

 Déjà, cela la distingue des atolls que l’on

 ne découvre que lorsqu’on voit la tête

de leurs cocotiers, tant ils sont bas sur les

flots : autant dire que tu ne les vois que

lorsque tu as le nez dessus.

 

Nous arrivions par le Sud. Nous

contournons Makatea pour nous présenter

 au point de débarquement. Là, surprise ...

 Un énorme insecte couleur de rouille

s’est fixé en haut de la falaise. Il tend un

bras immense au-dessus de l’océan.

Tu avais beau avoir été prévenu, l’insecte

et son bras, ses antennes, sont

impressionnants. On se croirait au pays

des extra-terrestres



Sous l’extrémité des antennes, tu amarres

ton bateau à un coffre, qui se trouve là,

ancré par deux mille mètres de fond.

Le coffre est énorme, la chaîne qui en

part pour s’enfoncer dans les flots est

énorme elle aussi.

 

On t’a dit que cette installation a été

mise en place par la S.F.P.O. ,

autrement dit la Société Française des

Phosphates d’Océanie. Elle a commencé

à exploiter Makatea à partir de 1908 et

n’a pas tardé à tirer de cette

île 230.000 tonnes de phosphate par an.

Conrad, Melville et Stevenson ont vanté

les îles à guano ...

Le guano, c’est un engrais que l’on

utilise en agriculture. Il est le résultat de

la décomposition des fientes d’oiseaux

déposées là pendant des siècles et des

siècles. Le guano a fait la fortune de

plusieurs aventuriers, de plusieurs sociétés.

 La S.F.P.O, avait son siège à Papeete,

là où se trouve maintenant un hôtel, sur

les quais. L’exploitation a commencé

avec des ouvriers asiatiques, puis s’est

poursuivie avec des ouvriers tahitiens.

Il y a eu peut-être un millier de personnes

sur Makatea.

 

Lorsque j’y allai, en 1968 ou 1969,

l’exploitation avait cessé. Elle n’était

plus rentable. Disons qu’il n’y avait plus

de phosphate à Makatea. Les machines

avaient tout extrait et les navires

avaient tout emporté jusqu’en Europe

dont les conversions agricoles

engloutissaient les engrais




Une fois amarré au coffre, le bateau se

balançant d’avant en arrière au gré de la

houle, nous nous trouvions exactement

sous le bras de chargement, tendu

au-dessus des flots. Il était parcouru

d’un bout à l’autre par un tapis roulant

immobilisé. Des petits tas de phosphates

 restaient là, alignés, prêts pour alimenter

les soutes des cargos. On eût dit qu’il y

avait une panne, mais que tout allait se

remettre en mouvement ! Pourtant, et

c’était assez étonnant : Il n’y avait

personne en vue. Personne en haut de la

falaise, personne aux commandes des

machines ... J’étais prévenu, mais tout de

même... L’île était vide ou presque.

Je crois que l’on m’a dit qu’il y restait

 trois ou quatre habitants !




Devant nous, au pied de la falaise, il y

avait une sorte de quai. Un plan incliné

s’élançait de là jusqu’en haut des

rochers, avec une pente d’environ trente

pour cent ... Raide !


 

Sur ce plan incliné on voyait des rails et

sur ces rails, bloquée tout en haut, une

sorte de plate- forme qui pouvait, tirée

 par des câbles et par un treuil, glisser

pour remonter les charges ou les descendre

 C’est par là, par cette sorte de

funiculaire, que se faisaient les

approvisionnements en matériels, en

matériaux et en vivres. Bien sûr, à cette

machinerie, personne aux commandes.

Depuis combien d’années tout cela était-il

immobile?



Nous montons à pied, par le plan

incliné. Arrivés tout en haut, nous

découvrons une locomotive, attelée à

deux wagons, solidement assise sur

ses rails. Quelqu’un ... Quelqu’un qui est

probablement le responsable de tout cela ..

 Pour nous faire plaisir, il a mis du fuel

dans le réservoir de la locomotive : Il en

reste dans les cuves. On n’a pas pris la

peine de les vidanger avant de partir.




Avant de partir ! ... Mais on n’a rien emporté, ou

presque rien ! Non seulement il y a du fuel

 dans les citernes, mais, dans les ateliers intacts,

les outils sont restés, prêts à servir. On croirait

se trouver dans une ville abandonnée du Texas,

du temps des cow-boys ou, bien avant, du temps

des immigrés voyageant vers l’Ouest avec leurs

chariots. Eux aussi ont exploité des mines, puis

les ont abandonnées, laissant à leurs maisons les

portes et les fenêtres ouvertes, les volets battant au

 vent.

 


Ville de fantômes, ville intacte, ou presque, mais

les bois de lits ont parfois été traînés dehors, on

 ne sait par quels pillards passant.

Voici l’atelier de menuiserie, la scie à ruban.

Il y a encore un petit tas de sciure sous la lame

qui luit. Un calendrier est accroché au mur,

au-dessus de l’établi. Y sont cochées les dates

auxquelles le menuisier a fabriqué un cercueil,

deux, trois le même jour parfois ...

 Et l’émotion vous creuse le ventre.

                                                               
                                                         
On nous a promenés à travers le village dans                                

les wagons du petit train. Nous avons parcouru

toutes les rues ou à peu près, et nous sommes

allés sur les lieux d’extraction du phosphate :

Tout le sol est chamboulé. Du corail, c’est un

amalgame de trous et de bosses, de cavernes et

 de blocs de calcaire, coupants. C’est dans les

 trous, dans les cavernes, dans les interstices,

que se trouvait le guano. On l’a extrait.

Les creux sont vides.

 


            Imaginez une terre ou rien ne poussera

 plus, sauf quelques buissons où se distingue

parfois une fleur d’hibiscus ( autrefois il y a

eu ici une haie ). Le sol est d’un blanc grisâtre,

 creusé de trous plus encore qu’une motte de

gruyère, aux bords acérés. Tout est d’une

sècheresse et d’une aridité inouïes. Le pire

désert que l’on puisse voir, je pense.



 Même les maisons sont branlantes,

certaines sont penchées, s’enfonçant

dans les cavités, basculant sous

l’action du vent. Terre désolée, terre vide,

terre inhabitable pour toute l’éternité à

venir.




Pourtant, il doit rester quelques cocotiers

quelque part : On m’a offert un crabe de

cocotier naturalisé, gros comme un melon

 C’est ce que l’on offre, ou ce que l’on

vend aux navigateurs de passage ...

On n’a plus que cela à offrir ...

Peut-être aussi, à la saison, quelques oeufs

d’oiseaux de mer, dont les marins sont

friands.

 

Et je pense à ces îles, je ne sais plus

lesquelles, ces îles qui ont vendu tout leur

phosphate. Avec les revenus qu’ils ont

touchés, on dit que les habitants ont

investi en Australie, achetant des

immeubles et des maisons ...

Maintenant, il n’y plus de terres chez

eux ... Tellement de trous qu’ils n’ont

plus qu’à quitter leurs îles pour aller

habiter en Australie !


 

Tous ces bouleversements, les maisons vides et de guingois, les bois de lit exposés au

soleil, les machines arrêtées, les balais

rangés contre les murs, ce morceau de

savon qui se dessèche sur un lavabo vide ... Le petit train ... Où sommes nous ?



Mais je me suis aperçu que j‘étais le seul à

méditer !






1 commentaire:

  1. Informations sur Makatea à actualiser !!!!!
    Je conserve votre article dans les archives sur mon ile natale.
    Nana.
    Hinano

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