MAKATEA
Makatea est une petite île complètement
isolée entre
l’archipel des Tuamotu,
composé d’atolls, et les îles du Vent qui
incluent Tahiti.
C’est
sans doute un ancien atoll, mais il a été
surélevé
par des mouvements sismiques et l’île
se
présente maintenant comme une terre assez
plate,
une sorte de table dont les falaises s’élèvent
bien à trente mètres de haut.
Tu arrives avec ta goëlette, en labourant
les flots, la plupart du temps. Mais le
jour où j’y suis allé l’océan était calme,
avec une houle profonde et longue qui
donnait l’impression d’une respiration
monstrueuse.
Makatea, tu la distingues depuis assez
longtemps lorsque tu t’en approches :
À cause de sa hauteur, tu la découvres à
bonne distance, se détachant sur l’horizon
Déjà, cela la
distingue des atolls que l’on
ne découvre que
lorsqu’on voit la tête
de leurs cocotiers, tant ils sont bas sur les
flots : autant dire que tu ne les vois que
lorsque tu as le nez dessus.
Nous arrivions par le Sud. Nous
contournons Makatea pour nous présenter
au point de
débarquement. Là, surprise ...
Un énorme insecte
couleur de rouille
s’est fixé en haut de la falaise. Il tend un
bras immense au-dessus de l’océan.
Tu avais beau avoir été prévenu, l’insecte
et son bras, ses antennes, sont
impressionnants. On se croirait au pays
des extra-terrestres
Sous l’extrémité des antennes, tu amarres
ton bateau à un coffre, qui se trouve là,
ancré par deux mille mètres de fond.
Le coffre est énorme, la chaîne qui en
part pour s’enfoncer dans les flots est
énorme elle aussi.
On t’a dit que cette installation a été
mise en place par la S.F.P.O. ,
autrement dit la Société Française des
Phosphates d’Océanie. Elle a commencé
à exploiter Makatea à partir de 1908 et
n’a pas tardé à tirer de cette
île 230.000 tonnes de phosphate par an.
Conrad, Melville et Stevenson ont vanté
les îles à guano ...
Le guano, c’est un engrais que l’on
utilise en agriculture. Il est le résultat de
la décomposition des fientes d’oiseaux
déposées là pendant des siècles et des
siècles. Le guano a fait la fortune de
plusieurs aventuriers, de plusieurs sociétés.
La S.F.P.O, avait
son siège à Papeete,
là où se trouve maintenant un hôtel, sur
les quais. L’exploitation a commencé
avec des ouvriers asiatiques, puis s’est
poursuivie avec des ouvriers tahitiens.
Il y a eu peut-être un millier de personnes
sur Makatea.
Lorsque j’y allai, en 1968 ou 1969,
l’exploitation avait cessé. Elle n’était
plus rentable. Disons qu’il n’y avait plus
de phosphate à Makatea. Les machines
avaient tout extrait et les navires
avaient tout emporté jusqu’en Europe
dont les conversions agricoles
engloutissaient les engrais
Une fois amarré au coffre, le bateau se
balançant d’avant en arrière au gré de la
houle, nous nous trouvions exactement
sous le bras de chargement, tendu
au-dessus des flots. Il était parcouru
d’un bout à l’autre par un tapis roulant
immobilisé. Des petits tas de phosphates
restaient là,
alignés, prêts pour alimenter
les soutes des cargos. On eût dit qu’il y
avait une panne, mais que tout allait se
remettre en mouvement ! Pourtant, et
c’était assez étonnant : Il n’y avait
personne en vue. Personne en haut de la
falaise, personne aux commandes des
machines ... J’étais prévenu, mais tout de
même... L’île était vide ou presque.
Je crois que l’on m’a dit qu’il y restait
trois ou quatre
habitants !
Devant nous, au pied de la falaise, il y
avait une sorte de quai. Un plan incliné
s’élançait de là jusqu’en haut des
rochers, avec une pente d’environ trente
pour cent ... Raide !
Sur ce plan incliné on voyait des rails et
sur ces rails, bloquée tout en haut, une
sorte de plate- forme qui pouvait, tirée
par des câbles et
par un treuil, glisser
pour remonter les charges ou les descendre
C’est par là, par
cette sorte de
funiculaire, que se faisaient les
approvisionnements en matériels, en
matériaux et en vivres. Bien sûr, à cette
machinerie, personne aux commandes.
Depuis combien d’années tout cela était-il
immobile?
Nous montons à pied, par le plan
incliné. Arrivés tout en haut, nous
découvrons une locomotive, attelée à
deux wagons, solidement assise sur
ses rails. Quelqu’un ... Quelqu’un qui est
probablement le responsable de tout cela ..
Pour nous faire
plaisir, il a mis du fuel
dans le réservoir de la locomotive : Il en
reste dans les cuves. On n’a pas pris la
peine de les vidanger avant de partir.
Avant
de partir ! ... Mais on n’a rien emporté, ou
presque
rien ! Non seulement il y a du fuel
dans les citernes, mais, dans les ateliers
intacts,
les
outils sont restés, prêts à servir. On croirait
se
trouver dans une ville abandonnée du Texas,
du
temps des cow-boys ou, bien avant, du temps
des
immigrés voyageant vers l’Ouest avec leurs
chariots.
Eux aussi ont exploité des mines, puis
les ont
abandonnées, laissant à leurs maisons les
portes
et les fenêtres ouvertes, les volets battant au
vent.
Ville
de fantômes, ville intacte, ou presque, mais
les
bois de lits ont parfois été traînés dehors, on
ne sait par quels pillards passant.
Voici
l’atelier de menuiserie, la scie à ruban.
Il y a
encore un petit tas de sciure sous la lame
qui
luit. Un calendrier est accroché au mur,
au-dessus
de l’établi. Y sont cochées les dates
auxquelles
le menuisier a fabriqué un cercueil,
deux,
trois le même jour parfois ...
Et l’émotion vous creuse le ventre.
On nous
a promenés à travers le village dans
les
wagons du petit train. Nous avons parcouru
toutes
les rues ou à peu près, et nous sommes
allés
sur les lieux d’extraction du phosphate :
Tout le
sol est chamboulé. Du corail, c’est un
amalgame
de trous et de bosses, de cavernes et
de blocs de calcaire, coupants. C’est dans les
trous, dans les cavernes, dans les
interstices,
que se
trouvait le guano. On l’a extrait.
Les
creux sont vides.
Imaginez une terre ou rien ne
poussera
plus, sauf quelques buissons où se distingue
parfois
une fleur d’hibiscus ( autrefois il y a
eu ici
une haie ). Le sol est d’un blanc grisâtre,
creusé de trous plus encore qu’une motte de
gruyère,
aux bords acérés. Tout est d’une
sècheresse
et d’une aridité inouïes. Le pire
désert
que l’on puisse voir, je pense.
Même les maisons
sont branlantes,
certaines sont penchées, s’enfonçant
dans les cavités, basculant sous
l’action du vent. Terre désolée, terre vide,
terre inhabitable pour toute l’éternité à
venir.
Pourtant, il doit rester quelques cocotiers
quelque part : On m’a offert un crabe de
cocotier naturalisé, gros comme un melon
C’est ce que l’on
offre, ou ce que l’on
vend aux navigateurs de passage ...
On n’a plus que cela à offrir ...
Peut-être aussi, à la saison, quelques oeufs
d’oiseaux de mer, dont les marins sont
friands.
Et je pense à ces îles, je ne sais plus
lesquelles, ces îles qui ont vendu tout leur
phosphate. Avec les revenus qu’ils ont
touchés, on dit que les habitants ont
investi en Australie, achetant des
immeubles et des maisons ...
Maintenant, il n’y plus de terres chez
eux ... Tellement de trous qu’ils n’ont
plus qu’à quitter leurs îles pour aller
habiter en Australie !
Tous ces bouleversements, les maisons vides et de
guingois, les bois de lit exposés au
soleil, les machines arrêtées, les balais
rangés contre les murs, ce morceau de
savon qui se dessèche sur un lavabo vide ... Le petit
train ... Où sommes nous ?
Mais je
me suis aperçu que j‘étais le seul à
méditer
!
Informations sur Makatea à actualiser !!!!!
RépondreSupprimerJe conserve votre article dans les archives sur mon ile natale.
Nana.
Hinano