samedi 15 septembre 2018

LES CHEMINS DE COMPOSTELLE.





        SANTIAGO  DE  

                                     COMPOSTELLA


 ULTRÉIA !








                       



Et puis, là, arrivant au terme de ton

voyage, ayant gravi des pentes, dévalé

des torrents, vacillé sur les galets ou les

rochers, dérapé dans la glaise, lutté contre

 les éléments. Là, dans les faubourgs de

la ville, entre des murs gris et ruisselants,

 tu te sens redevenu ce qu'au fond tu

avais rêvé de n'être plus ... Un parmi les

autres, un que l'on ne regarde plus.




Comment es-tu parvenu à Santiago jusqu'à

 la place de l'Obradoiro (l'ouvrage d'or) ?

 _ Au fond, tu ne le sais même pas. Tu es

 passé par une rue étroite où sont des

boutiques dans lesquelles on vend

colifichets, bourdons de bois, coquilles de

fer blanc, cartes postales, mais aussi

saucissons secs, chorizos et jambons ! ...

Après tout, la vie, c'est cela et tu replonges

 dans cette vie-là ...

La place de l'Obradoiro est superbe,

dallée de pierres vénérables, entourée de

bâtiments majestueux : derrière toi la

façade néo-classique de la Mairie de

Santiago, (l'Ayuntamiento). À ta droite,

le Colegio San Jeronimo, qui est

actuellement le siège du Rectorat, à ta

gauche, l'Hostal de los Reyes Catolicos

 (pas moins !), qui est actuellement l'un

des "Paradores", l'un des hôtels les plus

luxueux du pays (chasseurs à casquette et

 galons dorés, portant les valises ...)


                                      


Et puis en face, "La Cathédrale" ...

 On la connaissait par les reproductions

répandues dans le monde entier, par

les gravures aux pages des livres, par les

photographies sur les affiches...






"La Cathédrale" ... Eh bien oui, elle est là

 devant toi et tu trouves sa façade plus

noircie que ne le montraient les photos. ...

 Parbleu la pluie qui n'a pas cessé

n'arrange rien ! ... Les tours sont baroques

 ... On le savait ... Très baroques.

Le portail est orné d'une multitude de

sculptures et de statues : On les devine

plus qu'on ne les voit, tant, également,

elles sont noircies par le temps et par

les vents . Double escalier majestueux,

arrondis, cintres, colonnes et moulures ...


                                          

        On a un peu peur de ce que l'on va

trouver en pénétrant dans le sanctuaire

... Tu te souviens des églises du chemin,

des Cathédrales rencontrées : Pampelune,

 Burgos, Punte-La Reina, Estella ...

Mention spéciale pour celle de Najera qui

 abrite le panthéon des Rois de Navarre et

tous leurs gisants ... Mais mention spéciale

 aussi à l'église de San Domingo de la

Calzada qui contient un poulailler,

souvenir d'un miracle moyenâgeux qui fit

revenir à la vie un poulet déjà rôti ...

Ici il y a une poule blanche et un coq

blanc ... Si le coq chante, cela porte

bonheur au pèlerin en visite ...


                                


Dans la plupart de ces églises il y a trop

d'or, trop d'or et d'argent, trop de

colonnades, trop de frises, trop de

niches et trop de statues en bois

polychrome ou recouvertes de métaux

précieux et de bijoux, trop, trop, trop ! ...

A croire que c'est là que se retrouve

tout l'or et tout l'argent que les galions

ont jadis ramené des Amériques ...

Devant le spectacle offert par certains

retables compliqués, on ne peut que

songer aux pagodes d'Asie, à leurs

ornements et aux statues du Bouddha ...

Après tout ...






Tu voulais monter les escaliers pour

pénétrer dans la cathédrale ... Les cloches,

 toutes les cloches, sonnaient à la volée.

Non, il faut faire le tour et entrer par la

Porte Sainte, celle qui n'est ouverte que

pour les années saintes, proclamées

chaque fois que le 25 Juillet, fête de la

Saint Jacques tombe un dimanche. Une

indulgence plénière est accordée au

pèlerin ces années-là à condition qu'il ait

parcouru au moins cent cinquante

kilomètres à pied, à cheval ou à bicyclette

 ( On rencontre de plus en plus de cyclistes

 en V.T.T. , la tradition dût-elle être

distordue à leur bénéfice ) ...



                                




Bon, la voilà, la Porte Sainte. Tu

t'apprêtais à y pénétrer, puisqu'elle est

réservée aux pèlerins, mais tu n'avais pas

 songé que les pèlerins sont nombreux

... Et qu'ils ne sont pas toujours ceux

auxquels tu pensais : Il y a peu de


marcheurs équipés comme toi de sacs

à dos et de ponchos, mais il y a, en

groupes constitués, tous les pèlerins en

costumes et robes de ville ... Débarqués

à Santiago la veille ou le matin même,

souvent âgés, souvent munis du bourdon

et de la calebasse ...


                                    


_ "Ils prêtent à rire", dis-tu ? Pourquoi

te réserverais-tu le titre de pèlerin : Ils ont

fait ce qu'ils ont pu, sans doute ...

Le bourdon et la calebasse achetés à la

boutique du coin et brandis avec fierté ?

 ... Bien sûr, bien sûr ... Mais pourquoi

leur ôterais-tu leur joie ? - Il te faut en

prendre ton parti : Tu n'es pas le seul à

t'attribuer le statut du pèlerin.





En tout cas, ils se sont chargés de te le

faire comprendre ... Pas facile, de passer

par la Porte Sainte, ils font bloc et il te

 faut bien attendre.




                                                         



... Bon, tu y es, dans la cathédrale de

Santiago, tu y es avec ton sac sur le dos,

tu as ton bâton à la main, ton poncho sur

le dos. Tu es tout dégoulinant de pluie,

tes pieds font des clapotis dans tes

chaussures, tu as froid car tu es tout trempé

 ... Tu essaies d'y voir quelque chose ...

Mais tu ne verras rien : La nef est remplie,

 archi-pleine : Il a dû en arriver, des

autobus et des avions ! Qui plus est,

aujourd'hui, en pèlerinage _ Pas à pied,

bien sûr ! _ L'archevêque reçoit l'héritier

du trône du Brésil et sa famille ...




C'est plein de Brésiliens ! ... Tu as réussi

 à poser ton sac et à ôter ton poncho, tu les

 as déposés à terre dans la travée ...

La nef de la cathédrale de Santiago, l'autel,

 les retables ...

                                

C'est ce que tu en attendais ?

_ Tu n'en sauras rien pour cette fois :



La foule t'a irrémédiablement relégué

derrière un pilier. Tout juste apercevras-tu,

 en longue file, la trentaine de

concélébrants, dont l'un est vêtu de noir.

Grandes orgues. Tout le monde est

Debout, les bourdons tout neufs et les

calebasses sont levés. Tu piétines un peu

sur place pour tenter de te réchauffer ...

Déçu ? _ Qu'espérais-tu ? _ Aurais-tu

voulu que les trompettes sonnent à ton

arrivée sur la place de l'Obradoiro ?

... Parce que les seuls vrais pèlerins

sont ceux qui ont marché à pied, sur huit

cents kilomètres au moins ? ... Aurais-tu

 voulu que l'entrée par la Porte Sainte te

 fût réservée ? -  Aurais-tu pensé qu'une

place serait réservée pour toi sur un banc ?


                                        


J'ai envie de te consoler, mais j'ai aussi

envie de t'aider : Tout ce long trajet,

toutes ces rues, ces murs gris, toute cette

 pluie, toute cette solitude te feront-ils

prendre conscience que ce que tu as

accompli en marchant depuis des

semaines et des semaines, toute cette

sueur,toutes ces douleurs, toutes ces

questions que tu t'es posées ...

Tout cela ne fait pas de toi un être

particulier : Il n'y a pas de statut du pèlerin
 ...




En tout cas, le pèlerinage n'est qu'un moment

dans une vie, ce qui fait qu'être pèlerin n'est

pas un état, ce ne peut être qu'un moment.

Ce moment finit ici, à Compostelle et te voilà

redevenu semblable aux autres : Ce qu'au

fond, tu n'as jamais cessé d'être. Tu n'es pas un

champion, tu n'as pas accompli un exploit sportif.

 Ce que tu as fait, tu l'as voulu ... Tu l'as fait ... A toi de considérer si

 c'est bien ou si c'est mal, mais ici, à Compostelle ...





Ici finit le Chemin, ici finit le pèlerin.

Si tu veux savoir à quoi ressemble

vraiment la cathédrale, il te faudra revenir

 à une heure de moindre affluence ...

Une autre messe sera dite à dix-huit

heures, tu pourras peut-être y assister et

sans doute plus facilement t'y recueillir.




_ " Attends ... Ne t'en vas pas encore ...

 La messe est presque finie, on va

balancer le "botafumeiro", l'encensoir

géant en argent massif ... "





_ " Je sais, je sais : huit hommes, que

l'on appelle en Galicien les

"tiraboleiros", en tirant vigoureusement

sur les cordes font virevolter l'encensoir

... Qu'ils le balancent ... moi, je vais

au bureau d'accueil des pèlerins pour me

faire délivrer la "Compostella", le

document qui, selon une très ancienne

tradition, atteste l'authenticité de mon

pèlerinage ..."






... _ Et qu'espérais-tu, là encore ? ... Tu

as toujours les pieds mouillés, tu traînes

encore ton sac et ton poncho. Il pleut

 toujours. Au rez-de-chaussée d'un

imposant immeuble, derrière un comptoir,

 une jeune fille vend des médailles ...

Derrière un autre comptoir, une autre

jeune fille, représentant une agence de

voyage, tente de trouver une chambre

d'hôtel à ceux qui en désirent, essaie, en

conversant au téléphone, d'obtenir des

billets de chemin de fer pour ceux

qui en veulent, se démène pour donner

les renseignements qui lui sont demandés ...






_" Montez l'escalier : Le bureau

d'accueil se trouve au premier étage."

... Elle parle français, cette jeune fille.

Elle parle français et anglais, peut-être

d'autres langues encore ... Mais elle

ne parle pas l'allemand et son

interlocuteur du moment trouve le

moyen de s'en offusquer, avant de

poursuivre la conversation en anglais...





_ Bon, t'y voilà ... "Accueil des pèlerins !"

... Encore un comptoir de bois, très long

... Deux ou trois personnes derrière ce

comptoir ... Présenter son "Credential"

... Les sceaux qu'on y a apposés aux

différentes étapes font foi :





La "Compostella" n'est attribuée qu'à

ceux qui ont parcouru au moins cent

cinquante kilomètres ...

Les cent cinquante derniers kilomètres ...

Ce qui fait qu'on la refusera à un pèlerin

 qui a parcouru cinq cents kilomètres, au

prix d'efforts incroyables

( Il avait une prothèse de hanche, était
diabétique et ses pieds étaient en sang
lorsqu’il dût se faire hospitaliser,
 à Astorga.) 

… Il a dû terminer son

pèlerinage en autobus et ne peut donc

pas présenter les sceaux qui devaient

être apposés dans la dernière partie du

parcours ..




On fait la queue devant le comptoir.



_ " Pas un mot gentil, pas un compliment

pour ce que nous avons accompli. Rien.


                                     



De vrais bureaucrates fonctionnarisés ! "


                                       

_ Attends, attends un peu ! ...

C'est vrai, leur préoccupation, c'est de

vérifier les sceaux dans le "Credential".

Après cela, ils saisissent dans une pile

de feuilles un formulaire de la

"Compostella" ... Papier jaune orné de

coquilles et, dans un médaillon, l'effigie

 de Saint Jacques.





La "Compostella est pré-imprimée ...

Il n'y plus qu'à y inscrire ton prénom,

latinisé et la date de ton arrivée à Santiago

 ... Le reste est écrit en Latin.

Tu ne connais pas le latin, mais c'est

signé par le "Secretatus Capitularis",

alors c'est forcément beaucoup d'honneur

que de recevoir cette attestation de

pèlerinage ! ... Enfin, tu en ressentirais

beaucoup plus d’honneur si la signature

n’était pas apposée avec un tampon de

caoutchouc ... Si l'écriture manuscrite de

ton nom était un peu plus soignée, si

 l'on t'offrait une pochette pour y placer

la "Compostella" ... Tu n'as que ton sac

à dos, comment faire pour ne pas

chiffonner ce papier ? - La seule solution

que tu as, c'est de le plier, ce que

tu fais la mort dans l'âme. Tu as toujours

les pieds qui clapotent dans tes chaussures

et tu redescends l'escalier de bois pour te

rendre à ton hôtel ...

Le pèlerinage, c'est fini !



                                    


Te voilà de retour sur la place de

l'Obradoiro. Tu n'as plus ton sac sur le

dos. Tu as laissé ton bâton à l'hôtel.

Tu as changé de tenue car la chemise et

le pantalon que tu portais pour marcher

tournent dans une machine à laver.

Tu as acheté des chaussures légères,

pour remplacer les "botas" trempées que

tu as bourrées de papier journal pour

tenter de les sécher ...

Curieuse impression : Pour une fois, tu as

pris une douche sans craindre que l'eau

chaude ne tarisse et pour une fois tu as

laissé ton équipement. Pour un peu, tu te

prendrais pour un "touriste".

Tu as erré quelque peu sur la place, un peu

 perdu de te retrouver seul.

Que cherchais-tu ?



                                          
  


_ En fait, tu cherchais, en tournant autour

de la cathédrale : Place de l'Obradoiro,

place de las Platerias, place de

la Quintana, place du Paraiso ...

Tu faisais mine d'admirer, ici les

sculptures du Portique de la Gloire, là

celles de la Porte Sainte puis celles de

la Puerta de las Platerias ou du portail de

la Azabacheria ... Tu prenais du recul,

le dos au Palais de Rajoy, pour scruter

la façade baroque construite au

XVIII eme siècle et les deux tours que

l'on dit "sveltes" et "élégantes".

... Tu t'es approché de l' "

 donc tu sais qui tu es ... Le grand diable te serre dans ses bras,

 quand il te reconnaît.                    ;

Hostal del ReyesCatolicos" Tu n' oses y entrer:





                                       







... N'y pénétraient que des gens bien

habillés, issus de limousines dont les

chasseurs aux vestes chamarrées retenaient

 les portières ... Ce que tu cherchais,

sans peut-être te l'avouer ? - Tu l'as

compris sans doute au moment où un

petit groupe de pèlerins arrivait au centre

de la grande place : Un grand diable en

culottes courtes, sac sur le dos, poncho

et chapeau de paille à larges bords qui

saute à pieds joints en lançant les bras vers

 le ciel. Il hurle ... De joie ?





Tu cherches encore la compagnie des

pèlerins : Ceux-là, tu les as croisés

plusieurs fois sur le Chemin, tu sais qui ils

 sont ... Et donc pas un "touriste"

... Tu es bien pèlerin ... Pour quelques

minutes encore ... Le temps que les

nouveaux arrivants disparaissent à leur

tour vers le bureau d'accueil ...

Un peu avant dix-sept heures, tu entres

dans la cathédrale, par le Portail de la

Gloire, après avoir monté les marches

de l'escalier monumental. L'entrée est un

peu encombrée :



Des gens baisent la tête des anges de pierre ...
Tu les as évités.

                                       



La nef centrale est immense, elle est

flanquée de deux autres nefs et la

coupole se situe à trente-deux mètres

au-dessus du transept. Il y a neuf

chapelles, réparties tout autour, des

confessionnaux de bois, un

déambulatoire qui permet de faire le tour

de l'autel. Il y a relativement peu de

monde dans la cathédrale –

Rien à voir avec les foules de la messe

des pèlerins, à midi !

Un léger mouvement se fait. Tu le suis.

 Hommes et femmes passant la

Porte-Sainte effleurent de leurs doigts, au

pilier de gauche et à celui de droite, deux

 croix gravées en creux dans la pierre

quelque peu noircie par ces contacts

répétés. Tu accomplis le rite sans en

connaître la signification.

Tu contemples les statues, les dorures,

les moulures, les colonnettes, les peintures

 les stucs, les émaux et les pierreries ...

Trop ! ... Trop, répétais-tu en passant

sous les galeries de la nef centrale, dite

"triforium" ... Le mouvement te conduit

 sans que tu t'en aperçoives au pied d'un

petit escalier, derrière le maître-autel.

Tu montes les marches comme les autres,

 après les autres. Et, après les autres

depuis des siècles et des siècles, tu

passes tes deux bras autour du cou de

la statue de l'apôtre, recouverte d'argent

et de pierreries ... Tu te souviens alors

avoir lu quelque part quelque chose à

propos de ce rite : Embrassant la statue

de Saint Jacques par le cou, il faut prier

pour ceux que l'on aime ... Juste à côté,

un frère mineur, robe de bure brune,

distribue des images pieuses et montre le

tronc aux oboles.



                          






Passe et redescends par l'autre escalier ...

 Fais place au suivant ... Qui passera lui

aussi les bras autour du cou de la statue

... Tu t'es plié au rite : Tu t'es dit enfin

que tu n'étais pas différent des autres

et que ta longue marche ne te donnait

pas l'autorisation de te distinguer ...

Depuis des siècles, les pèlerins et les

visiteurs ont embrassé la statue de

Saint-Jacques _ Toi qui a voulu placer

tes pas dans les pas des autres,

tout au long du Chemin millénaire,

à quel statut particulier, étranger à ta

démarche, prétendrais-tu ?


                                 


_ Tu y crois, toi, à cette histoire ? ...

Saint Jacques a été décapité en Palestine

sur ordre du roi Hérode Agrippa 1er en

42 après Jésus Christ. Son corps a été

jeté par-dessus les remparts pour être

donné en pâture aux chiens et aux rats.

Ses compagnons, Athénase et Théodore

recueillent sa dépouille, la déposent

au fond d'une barque. Ils passent le

détroit de Gibraltar. Ils arrivent en

Galice, à Pardon, sur la côte la plus

occidentale de l'Europe. Ils enterrent le

corps du Saint non loin de là. Ce n'est

qu'en 810 qu'une mystérieuse étoile guide

 l'évêque Théodomir et l'ermite Pélagius

jusqu'à l'endroit où repose le sarcophage,

 dans un champ qu'on appellera

le "Champ de l'Étoile" ou "Compostellae".



                      



Bien peu nombreux sont ceux qui, de

nos jours, accordent foi à ce qui n'est

sans doute qu'une légende.

Mais qu'importe, après tout ...

Les légendes ne contiennent-elles pas la

plupart des mythes dont l'homme a

besoin ? Tu marches vers Santiago,

tu marches vers quoi ?




                                                            











Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire