jeudi 27 septembre 2018

ORAN - ALGÉRIE




  ORAN




Lorsque nous fûmes à Oran, à partir de

mille neuf cent quarante-quatre je crois

mon père se fit plus rare encore.


Nous logions en ville et la base se trouvait

 loin, à Tafaraoui, près des lacs salés.

Il partait tôt le matin . Il ne rentrait pas

tous les soirs. Un jour, étant resté à la

maison pour une quelconque maladie, il

s’aperçut tout de même que notre mère

avait de plus en plus de difficultés pour

faire son marché : cent vingt-cinq grammes !

par personne !… Le boulanger pesait le

pain, le tranchait et puis ajoutait une

tranche pour faire la pesée. Je dévorais

la pesée en cours de route, avec une

merguez lorsque j’en avais les moyens.

Jusqu’au jour où ...














-”Vous savez, les merguez ... Dans le

quartier juif, on y a trouvé des doigts, des

doigts d’enfants ...” Rumeur, que ne fais-tu

 pas dire ? Et quelles sont les rumeurs qui

n’ont pas couru ?

Des Arabes nous apportaient de l’eau

potable dans des bidons qui avaient

contenu de l’huile ou du pétrole

autrefois. Au robinet, l’eau était rare et

saumâtre, néanmoins on laissait le robinet

de la baignoire ouvert toute la nuit pour

profiter des rares instants pendant lesquels

l’eau coulait.




Pour la monter au quatrième étage et

nous la vendre, le porteur demandait un

prix extravagant. Quatre bidons de fer

blanc : Deux à chaque épaule ...

C’est qu’il allait chercher l’eau dans la

montagne, lui ! J’ai vu ma mère

pleurer parce qu’on lui proposait une

boîte de lait condensé au marché noir ...

Qu’elle n’avait pas les moyens de payer,

or notre jeune sœur était un bébé et notre

mère ne pouvait pas l’allaiter.












Lorsque notre père prit conscience de nos

difficultés, ( il déjeunait, lui au mess de

 la Base ) il se mit en quatre pour nous

aider. Il allait chez les colons, nous

rapportait de pleins sacs d’artichauts ou

de choux-fleurs, un sac de farine de maïs,

un demi porc ...


Notre mère roulait la pâte, avec l’aide

d’un matelot d’origine italienne. Elle

faisait des nouilles fraîches. Elle découpait

 le porc sur le balcon, en se cachant des

voisins et des passants. Mais que faire

d’un demi porc quand on n’a pas de

réfrigérateur ? Que faire d’un plein sac

d’artichauts, même avec quatre enfants

autour de la table ? On en mangeait tous

les jours, à tous les repas, jusqu’à

épuisement. On en donnait au voisin, qui

me fournissait en cahiers d’écolier

(comment en avait-il en réserve ? )

Pendant des heures, on se relayait pour

faire la queue devant le marché aux

poissons.


Un jour, je n’en rapportait qu’un seul,

un poisson volant : tout ce qui restait parce

 qu’il avait glissé à terre !













Il y avait deux files pour faire la queue

devant les boutiques : une file pour les

Européens, une file pour les “Arabes”.


-”Vous verrez, un jour ils nous passeront

devant !”


Nedjma travaillait à la maison. C’était

une grande et belle femme, jeune et

svelte. Une étoile bleue était tatouée entre

ses deux yeux. Sa peau était dorée. Les

jours de fête, les paumes de ses mains

étaient teintes au henné. Nous l’aimions

beaucoup et elle nous le rendait bien.

Elle est restée longtemps chez nous.

Je revois ses longs doigt allongés, quand

elle roulait la semoule de couscous.



Liesse à Oran, pour la célébration de la

libération de Paris. Tout le monde en

fête, sans distinctions, les “Arabes”

comme les européens tous au beau

milieu de la rue. Drapeaux, lampions,

musiques et chansons, j’avais treize ans.








Peu après, nous avons rejoint la France à

 bord du tout premier paquebot en

partance. Il s’appelait le “Médi II “.

Nous avions, j’ignore à quel titre, mais

sans doute était-ce parce que notre père

 s’était bien débrouillé, le statut de

rapatriés sanitaires.








                                                *


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