PUNTA ARENAS
CHILI
C’est loin, Punta Arenas, très loin …
On y va en avion, en survolant la
Cordillère. Il faut décoller de Puerto
Montt. En dessous, on aperçoit des fleuves
qui dévalent tout
droit, tout blancs. On
survole des océans de neige. Il n’y a
personne ici, personne et pas un toit, pas
une route, que de la neige, de la neige …
De la neige. Des
pics, des ondulations,
des vallées … Neige, neige …
Rien d’autre que de la neige.
Mer de nuages. Blancs, blancs, blancs.
Trois cônes de volcans qui flottent,
fumeroles paisibles. De nouveau la mer
de nuages, ou plutôt un océan. À notre
hauteur, l’air est
limpide, transparent,
fluorescent.
Déchirure, l’avion y plonge. Canal de
Magellan ! La mer, la mer couleur
d’étain terni, hargneuse, des îles, un
wharf, des toits, des toits de tôle rouge.
Il pleut, il pleut beaucoup. Très bas sur
nos têtes, couvercle de fonte.
Punta Arenas … Avenue toute droite,
au centre, une allée de gazon. Sur le
gazon, des moutons de bronze, tout un
groupe de moutons, le berger, son chien,
son cheval bâté, tous en bronze et
marchant … La Patagonie coloniale.
Cercle de rencontres et peut-être de
jeux pour les « gens bien » d’autrefois.
Un monument : statue de Magellan, des
Indiens au bas du socle ... Touchez le
pied de l’Indien, ça porte bonheur.
D’ailleurs, le pied de l’Indien est poli par
les nombreux frôlements : Il brille !
En face, ligne bleutée de la Terre de feu. Étain
légèrement
bleuté. Il pleut, il vente. Il vente, il pleut …
Passent des oies … Et peut-être des cygnes. Ici, ils ont
le
cou noir. … Il pleut encore, dru.
Cimetière de Punta Arenas : Dès
l’entrée tombeaux monumentaux, de
marbre noir, de marbre blanc.
D’où venu, le marbre ?
« Famille Mendoza » … Les Mendoza
devaient fréquenter le « cercle »…
Combien de milliers d’hectares et
combien de milliers de moutons ?
Combien de sociétés d’exploitation, de
sociétés
commerciales, combien de
conseils d’administration ? … On peut
les compter : Leurs noms sont tous inscrits
sur les plaques de bronze scellées aux
parois du tombeau.
Autre mausolée, de style Grec celui-ci :
Fresques dignes du
Parthénon d’Athènes
… Moutons,
moutons, moutons …
Marbre de Carrare !
Croix, croix de pierre, croix de bois …
Beaucoup de noms slaves et croates.
Les dates : Rares sont ceux qui vécurent
longtemps :
Rougeole, varicelle et
puis … Le froid, le vent, la pluie,
l’ennui, l’alcool : Celui-là est mort de
« désespérance ».
Tombe de l’«
Indiecito » … Tombe de
l’Indigène Inconnu : Sa statue porte
bonheur elle aussi : Toucher son pied.
On a exterminé les « Peuples Primitifs »,
Onos, Alakaloufs …
Ils étaient grands et
bien bâtis, ils vivaient presque nus. Ils
pêchaient des moules et mangeaient la
chair des baleines échouées.
Ils naviguaient sur des pirogues
d’écorce, emportant les braises de leur
foyer d’un campement à l’autre. On les
tirait comme des
renards : Il le fallait
bien, puisqu’ils volaient des moutons !
On les abattait et on leur coupait les
oreilles, dont on faisait des colliers.
On versait aux chasseurs des sommes
intéressantes, pour chaque paire
d’oreilles, qu’elles soient celles d’un
homme, d’une femme ou bien d’un
enfant. Les survivants ? – Ils se sont
flambés à l’eau-de-vie !
Plus au Sud
encore, Puerto Toro, le canal de Beaggle
et le Cap Horn,
falaises, glaciers, rocs,
arbres
pourrissants, buissons et, au- delà,
le continent antarctique. Il y a encore,
paraît-il, des phoques, des manchots et des
baleines.
À Punta Arenas, il n’y a plus de moutons,
plus de bergers, plus de chiens de
bergers, Il n’y a plus de chevaux et les
clippers ne passent plus.
Des paquebots promènent les touristes
fortunés.
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