dimanche 26 août 2012

CHANSON POUR CEUX DE ST. PIERRE DE LA MARTINIQUE



Tant était grande l'envie de ce poème

Tant étaient belles les toiles de Gérard Stricher

L'occasion était si bonne de penser un peu à ceux de la Martinique

8 Mai 1902 









L’angoisse ne s’était pas encore infiltrée


Dans les artères de la ville


Nous n’avions pas encore appris la peur


Le volcan avait prévenu pourtant


                              




Il eût fallu savoir lire


Savoir lire dans cet alphabet oublié


Savoir lire les racines de feu gonflées


Les plumetis de cendres


La déroute des serpents


Savoir lire aux veines des ruisseaux


Les accélérations


Les changements de couleurs


                           




On ne nous avait pas appris la méfiance


Maman Rosa partit chercher son pain


Comme chaque matin


Coiffée de son madras 


Son panier à la main


                            




Quelques uns étaient montés voir


Ce qui se passait là-haut


L’Etang-Sec était plein d’eau rouge


En son milieu un cône noir


Crachait des fumées


Paisiblement












Mon Dieu mon Dieu


Que l’océan sait être bleu


Les voiliers en attente


Dodelinaient




                                  


Il eût fallu


Savoir lire les battements d’ailes du coq


Qui ne savait plus quoi chanter




                                 


C’était à huit heures du matin


Huit heures et deux minutes très exactement


À la cathédrale de la ville


Le bronze a fondu


Les carillons se sont tus


Nul ne saura jamais leur plainte


ni leur cri













Là où ton pied se pose prends garde


Tu marches sur la cendre des os brûlés


Murs noircis


Sans toits


Sans poutres et sans chevrons




                                


C’était à huit heures du matin


Huit heures et deux minutes très exactement


Les amours se sont étranglées


Dans un monstrueux orage


C’était à huit heures et deux minutes très 
exactement


Et le verre a fondu




                      







La ville a flambé


La rivière a bouillonné


C’était à huit heures et deux minutes très


exactement


Le huit mai mille neuf cent deux


Et la terre tremblait




                                   


La rue Monte-au-Ciel s’est fendue


La nuée a dévalé


Les barriques ont éclaté


Dans les rhumeries et sur les quais


Noirs cumulus roulant se déroulant


Explosions de colères rouges et jaunes




                                   




Plages noires


L’océan seul vivant encore


Recouvre des carcasses de navires 


morts








C’était à huit heures du matin


Huit heures et deux minutes très exactement


Un dimanche du mois de mai


Un jour de premières communions


Encens


Brassards et mousselines blanches


                            




C’était à huit heures du matin


Huit heures et deux minutes très exactement


Le huit mai mille neuf cent deux


À huit heures et deux minutes très exactement


Et les mots à jamais se sont tus





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