dimanche 15 février 2015

LE NAUFRAGE DU TIGER




NAUFRAGE DU TIGER 


          CHAPITRE 3


          DANS L'OCÉAN INDIEN


                                                             













_" Attentif à notre sort, le Commandant ne fit couper le mât de misaine qu'au moment le moins dangereux. Nous étions toujours assis à l'intérieur du bateau et nous adressions toujours au Ciel nos plus pressantes prières ... Il y avait peu de chances pour que le navire demeurât entier jusqu'au jour : Il était plein d'eau et les caisses de la cargaison cognaient sous le pont. A travers les lattes de ce dernier, nous apercevions les lumières de la nuit ... Autant dire que chaque vague déversait des torrents dans la cabine ... Le navire cognait de plus en plus fort sur le roc. A chaque assaut de la mer on entendait une détonation telle que nous aurions pu croire que la coque avait explosé.


_"Et le vent soufflait toujours furieusement. La pluie l'accompagnait par intermittences. La nuit était noire. Nous ignorions complètement sur quoi nous avions fait naufrage : Était-ce sur un écueil ou sur une île ? 

_"Charpentiers et hommes d'équipage, dans le noir, s'efforçaient de dégager le grand canot et les youyous ... les seules embarcations qu'il nous restât encore. En lieu sûr, ils entreposaient sur le pont des jambons, des alcools, de l'eau, des biscuits, des casseroles, des avirons, des voiles, des outils : tout ce qui pouvait nous être utile. Les porcs, les moutons, les volailles, tous les animaux vivants furent transférés du grand canot dans les chambrées, à l'abri, jusqu'à ce que les embarcations soient prêtes. Avec un pont incliné à quarante cinq degrés, que l'eau rendait glissant et que la mer assaillait à chaque instant, on peut imaginer le travail que cela représente ! 

Monsieur Spurs, à tout moment, me demandait quelle heure il était ... Enfin le jour se leva. Il était à peu près cinq heures et demie. Le navire n'était pas encore démembré. Nous pouvons constater que nous sommes échoués à l'ouest d'un rocher émergeant à fleur d'eau, du côté le plus exposé à la fureur des lames ... A un quart de mille, le rivage est sablonneux, avec quelques broussailles éparses. Je m'aventure sur le pont vers six heures. Cela me permet de prendre la mesure de la situation : Le navire est couché sur le flanc. Ses mâts brisés ont été emportés par la mer. Il ne reste plus que la bôme du foc, avec ses voiles qui pendent ... Le pavois est à moitié enfoncé. Les hommes, accaparés par leur labeur, se meuvent en silence ...





La mer emporte les mâts : Ils dérivent avec leurs voiles et leurs cordages ... Tout le gréement traîne le long du bord ... Quant à l'île, elle est basse, sableuse, inhospitalière ... De gros rochers et des coraux acérés encombrent ses rivages. Dans l'ensemble, cela paraît tout à fait misérable ... 

_"Le charpentier, aidé par l'équipage, s'est mis à démolir le pavois à coups de haches pour qu'il soit plus facile de mettre les canots à la mer. A huit, ls pratiquent une énorme brèche. Le grand canot est mis à l'eau. Le Commandant y monte avec quelques hommes pour chercher un endroit propice au débarquement ... Bientôt ils sont de retour : Entre les écueils, il y a une petite plage qui est tout ce qu'il nous faut ... Nous nous dirigeons vers elle ... Quelques espars et des cages à poules ont déjà été rejetés par la mer ... 

























*




_"C'est à la mi-marée que nous avons débarqué. La mer s'étant retirée, le navire était couché sur le rocher, calme. La côte sous-le-vent était découverte. A travers les eaux claires, nous pouvions apercevoir le fond rocheux. Le Commandant nous conseilla de placer nos objets de valeur dans un coffre et mettre celui-ci dans le grand canot, qui était à l'eau maintenant, rempli d'objets et de matériel de première nécessité. Nous suivîmes le conseil, mais cela fut malaisé : Tout avait été chamboulé dans notre cabine ... Ce n'est qu'avec beaucoup de difficultés que nous sommes parvenus à ouvrir quelques malles et quelques portes ... Pour ouvrir un tiroir, notre cabine se trouvant sous-le-vent, nous étions pratiquement obligés de le soulever à la verticale!







Les poignées de cuivre me coupaient les doigts et, comme la mer était entrée à flots par les hublots brisés, le sol était couvert de verre cassé provenant des vitres et des bouteilles. Je m'y blessai sérieusement les pieds. Ces rapides expéditions étaient donc dangereuses. Par ailleurs, nos malles s'avéraient toutes trop grosses, trop peu maniables. Il était difficile de songer à les utiliser. Le seul bagage qui soit utilisable était un coffre chinois posé sur ma couchette. Il contenait mes livres précieux ... Je les jetai sur le plancher mouillé. J'arrachai cependant la carte du monde qui se trouvait dans mon atlas : Je la plaçai soigneusement sur ma poitrine, pensant qu'elle pourrait nous être utile plus tard ... Je réussis à mettre dans le coffre le peu d'argent que j'avais, les bijoux de Sibella, les médaillons qui contenaient les mèches de cheveux des enfants, quelques petits cadeaux que ces derniers nous avaient offerts, quelques couverts en argent, un peu de linge de rechange, des petites choses comme du fil, des couteaux, des médicaments, un tire-bouchon, des aiguilles, des rubans, des crayons, des porte-plume, du papier, de l'encre ... Ce qui me tomba sous la main ...

_"Je bourrai également mes poches avec tout ce que je pus trouver d'utilisable : Robinson Crusoë, dont je pensai qu'il pouvait nous donner des idées, un thermomètre, du savon, des objets de toilette ... Avant d'aller à terre, je fis un ballot avec des vestes de laine et des pantalons ... J'en pris autant que je pouvais en emporter car je savais combien nous en aurions besoin, lorsque nous serions exposés au froid et à la pluie ! Je fis un autre ballot avec des couvertures, y ajoutant quelques livres et du matériel à dessin ...


_"En quittant le bateau, nous étions bien tristes. Nous étions obligés d'abandonner notre cabine, nos malles, nos tiroirs remplis d'objets de valeur, la plupart de nos affaires ... Nous étions à peu près certains de ne jamais rien revoir de tout cela.

_"Au moment où le navire s'était échoué, Sibella avait jeté à la mer ses clefs et la bague de rubis qu'elle portait au doigt ... Son alliance avait failli suivre ... Heureusement, elle l'avait remise à son annulaire.






_"Avant de rejoindre notre embarcation, nous nous sommes assis par terre, dans notre cabine. Nous regardions la mer, transparente. Les crêtes des rouleaux déferlants étaient blanches comme la neige, elles étincelaient au soleil en passant devant nous ...

_"Regarde, Sibella, regarde comme le soleil est radieux ..."

_"Il sourit ... Mais pas pour nous !"


(Archives Nationales des Seychelles - Victoria.)

























                             À SUIVRE

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