LES PETITS CAILLOUX-(4)
- ERROMANGO-
OU TRIBULATIONS
AUTOUR DU MONDE …
« Je serai donc demain le mort et le mystère, Moi qui suis
aujourd’hui celui qui va chantant. »
Borges
– Les énigmes (L’Autre, le Même.)
ERROMANGO - VANUATU
L’île est bien celle que décrivait
Pierre Benoît. Mais comment Pierre Benoît fît-il connaissance avec elle, perdue
dans les fins fonds du Pacifique ?
Personnellement, je la rencontrai
pour la première fois en 1962. L’avion qui me transportait, un petit bimoteur
emportant six ou huit passagers s’est posé sur un terrain qui n’était qu’une
déchirure au milieu des arbres.
La piste avait été ouverte à la
machette. Elle avait juste la largeur suffisante pour se poser et le bout des
ailes frôlait les troncs des cocotiers. Comme la piste était aussi très courte,
l’avion bloquait ses freins juste au bord de la très haute falaise.
Quand il décollait, il effleurait les
têtes des papayers, puis chutait vers la mer.
Le pilote faisait ronfler les moteurs
et l’appareil reprenait doucement de l’altitude :
Impressionnant !
PAPAYER
L’île est luxuriante, foisonnante,
étouffante de splendeurs végétales. C’est la splendeur d’une serre. Air rare,
saturé de vapeur, chaud comme l’haleine d’une bête et sentant le suint. Depuis
quinze jours, la pluie n’a pas cessé, drue comme un déluge. Les hommes courbent
le dos, comme si des graviers leur tombaient dessus, par poignées, par volées.
Les larges feuilles des tarots ont été lacérées.
Depuis une heure, il ne pleut plus.
La forêt s’égoutte, et c’est encore comme s’il pleuvait. La forêt que l’on
sent, que l’on devine, proche, vivante, enveloppante, mouvante. Mais la forêt
qu’à dire le vrai, on ne voit même pas ! On y est plongé, et elle est si dense
! Le sentier que l’on suit n’a que la largeur du pied, encore faut-il veiller à
ses contorsions, à ses détours, aux obstacles inattendus, aux arbres renversés,
aux torrents nés des dernières averses, qui roulent des eaux rouges et noires.
Les branches forment voûtes et ce n’est que rarement qu’elles laissent une
fente étroite à travers laquelle on aperçoit les lourds nuages mouvants.
BANIAN
Le sol doit être noir, noir de
cendres volcaniques, ou bien rouge d’argiles détritiques. On le devine, mais on
ne le voit pas : l’herbe le recouvre : Le pourpier, la tétragone, les impatiens
... Toutes plantes buveuses d’eau dont le climat favorise la pousse. De temps à
autre, assez rarement somme toute, un buisson éclate de feuilles rouges et de
fleurs rouges aussi : hibiscus, croton. On enjambe les racines et les
contreforts d’arbres gigantesques, des “ châtaigniers” dont les appendices et
tentacules se tortillent en nœuds de serpents. Parfois on distingue la branche
longue, lourde et horizontale d’un figuier banian. Cet arbre est aussi appelé
le figuier étrangleur.
Le banian ! Il est capable de
phagocyter, d’avaler carrément un autre arbre, son voisin, une maison. C’est
lui qui “avale”, au Cambodge, les palais et les temples d’Angkor ! Racines
aériennes qui forme une autre forêt, dont on dit qu’elle fait le lien, sorte de
ligne téléphonique, entre le ciel et la terre. On dit que ces racines
permettent de communiquer avec les morts, établissant la relation entre le ciel
et l’enfer. Des pigeons verts y roucoulent, se gorgeant de baies. Un loriquet,
vert lui aussi, mais on ne le voit que rarement tant il passe vite ! Il lance
un cri aigu. C’est le royaume du vert. Les petites tourterelles, nombreuses,
sont vertes elles aussi, avec une tache de rubis sur le dessus de la tête. À
quelques exceptions près, on est incapable de percevoir et d’identifier les
arbres qui se fondent dans la masse, elle-même drapée du haut en bas dans une
épaisse tapisserie de lianes et de feuillages épiphytes ou parasites. Une masse
végétale, comme une mer !
COCOTIER
VANUATU
Il est des îles
Faites de toutes les îles
Promises ou reprises
Caressées rêvées
Ravagées violées
Celles qu'on a voulu
Celles qu'on a eu
Lagons versatiles
Langues d'huile et de myrte
Aux oursins bleus
Iles femmes
Prêtes à s'ouvrir
Il est des îles
De laves et de cendres
Au souffle tranquille
Des volcans respirant
Monstrueusement
Iles accroupies
Dures et splendides
Et le front baissé
Leur ciel se referme
Sur l'ineffable vie
D'improbables secrets
Îles solitaires
Ne m'attendant guère
À LIRE !
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