lundi 16 février 2015

NAUFRAGE DU TIGER-4-




LE NAUFRAGE DU TIGER

                               CHAPITRE 4

DANS L'OCÉAN INDIEN 










Il faut dire que, vraiment, depuis sa mise à l'eau, le "Tiger", notre navire, avait couru de malchance en malchance ... Il y a des bateaux comme cela, dont les hommes d'équipage disent qu'ils ont "la poisse". Il était pourtant beau et solidement construit. A tous points de vue, c'était un véritable modèle d'architecture navale.

Il avait commencé, lors de son lancement, par aller heurter le fond, à la sortie du chantier de construction. Ensuite, il était entré en collision avec deux autres navires. Un coup de vent avait abattu un de ses mâts ... Puis le cacatois, à son tour, s'était abattu ! Il avait appareillé de Liverpool le trois mai mille huit cent trente six pour un voyage qui était prévu sans escale jusqu'à Bombay. Il emmenait vingt et une personnes à son bord.










_ Près du cap de Bonne-Espérance, son Commandant, Monsieur Searight fut pris d'une crise de délirium-trémens. Le second avait été obligé de le faire enfermer et de faire escale à Table-Bay. On y avait débarqué le Commandant mais, presque immédiatement, les médecins l'avaient déclaré guéri! Le douze juillet, le Commandant était de retour à bord, les passagers embarquaient. Dans la soirée, on hissait les voiles ...

_"C'était à "Table-Bay", au cap de "Bonne-Espérance" que nous avions embarqué, Sibella, Louise et moi-même, ainsi que Charles Bore, le nouvel adjoint du Second-Capitaine, le Chirurgien Deacon et un Indien, nommé Jewa.

-"Nous n'étions pas très tranquilles : Il ne nous semblait guère possible que le Capitaine Searight fût en très bonne santé !

_"Depuis notre départ du Cap, il ne nous arriva que fort peu de choses ... A l'exception du mauvais temps. Les vents étaient tout à fait fantasques : faibles mais changeants, puis soufflant tout à coup en furieuses rafales.

_"Notre Commandant avait placé tant d'espoirs dans ce si beau bateau que tout ce qui retardait notre avance l'exaspérait. L'effet de l'alcool augmentait encore cette exaspération, tant et si bien que, dès le passage du tropique du Capricorne, il avait tout à fait perdu la raison.










_"Le quatre août il fut repris par le délirium. On fut obligé de l'enfermer dans sa cabine. Il y poussait des plaintes et des cris de désespoir. Il tenta de démolir la cloison pour s'échapper ... On le transféra sous le gaillard d'avant, dans une pièce spécialement aménagée. Il y resta sous la surveillance du docteur Deacon, celle de Monsieur Spurs, du Maître d'équipage. Tous ceux qui pouvaient se rendre utiles le surveillaient également.


_"Le Second assurait le commandement à sa place, bien évidemment. Pour contrôler ses chronomètres, il fit mettre le cap vers la terre ferme : Contrairement à toute attente, nous nous trouvions, le neuf août, près de l'île Sainte-Marie, sur la côte est de Madagascar. Nous la longeâmes jusqu'à quinze heures environ. Nous fûmes obligés de constater que les deux chronomètres étaient faux : L'un affichait une erreur de quatre vingt dix milles, l'autre une erreur de quarante milles. Ce matin-là nous perdîmes un mât et un cacatois dans la bourrasque ...

_"Un peu plus tard, l'alizé du sud-est étant bien installé, nous avions de faibles rafales, mais les pluies, elles, étaient torrentielles. Le vent variait dans le secteur sud.

_"Nous avons filé huit à dix noeuds pendant toute la nuit, qui nous avait pris dans les parages des onze degrés trente de longitude est. Le début de la nuit fut très beau.

_"Le Capitaine Searight semblait aller mieux. Le médecin et le second lui avaient passé ses vêtements et ils l'avaient autorisé à quitter sa couchette pour s'asseoir sur une chaise, sur le pont. Ils le surveillaient de près. Il n'avait pas dormi mais, tout de même, il semblait aller mieux


_"Le médecin crut pouvoir s'absenter un moment. Il regagna sa cabine pour rédiger un rapport, laissant le Capitaine sous la surveillance du Second, lequel veillait en faisant les cent pas ... Profitant de l'occasion, le Capitaine se pencha vers sa couchette, qui était proche, faisant mine de vouloir s'y allonger ... Tout à coup, il se tourne vers la gauche et, avant que le Second ait pu faire quoi que ce soit, il fonce vers un sabord qui était resté ouvert malencontreusement ... Il fonce avec toute la vitesse dont est capable un dément ... L'alerte est aussitôt donnée et chacun court pour essayer de le sauver ...


_"En ce qui me concerne, je cours jusqu'à la dunette puis, revenant vers l'arrière, je cherche quelque chose à lancer par-dessus bord. Je ne trouve rien, puisque tous les espars et toutes les pièces de bois ont été solidement arrimés. Le bateau roule très fort. Alors, je jette un coup d'oeil par-dessus le bord :


_"Jamais je ne pourrai oublier ce que j'ai vu ! _ Le Capitaine était allongé sur le dos, sa tête et ses genoux sotient de l'eau. Il montrait une vigueur surnaturelle ... Son regard sauvage de dément était terrible. Il fixait le bateau qui le dépassait. Il semblait triomphant et ne paraissait pas du tout craindre de sombrer dans l'éternité ... Le navire filait dix noeuds, toutes voiles dehors ... Immédiatement, les drisses sont larguées, le bateau pivote, les voiles battant à tous les vents. On met le canot à la mer ... Au même instant, une vague nous inonde ... Le canot est submergé, retourné ... Miraculeusement son équipage est sauf, mais le Capitaine Searight, lui, a disparu dans le chaos et la fureur des éléments.

_"On ne pouvait rien tenter de plus ... Le bateau reprit le vent.











_" Ce n'était pas fini encore : Nous avions à peine repris nos esprits, à l'heure du thé ... Un bruit sourd vient nous alarmer, plus fort que la détonation d'un canon ! ... C'est une voile qui est tombée avec sa bôme. L'ensemble, probablement mal fixé, a chuté du haut du gréement. Après les événements de la journée, nous restons effrayés pour un bon bout de temps !





_" Et si, encore, cela avait été la fin de nos ennuis ! ... Vers dix heures du soir, nous allons nous coucher. Je venais juste de m'allonger lorsque d'horribles hurlements alertent tout le monde. Chacun monte sur le pont. Le Commandant, lui, court vers l'arrière ... C'était le timonier qui avait pris peur : Il avait cru voir un fantôme ! ... La nuit était noire, la tempête rugissait, le second était monté sur le roof afin de vérifier le comportement de l'homme de barre ... Sa soudaine apparition avait provoqué la panique de cet homme dont l'esprit était encore tout plein des terribles événements de la journée : C'etait pourquoi il avait hurlé.

_"Le onze août nous virons de bord, pensant avoir doublé le cap Ambre ... Le douze aux environs de une heure du matin, le "Tiger" talonnait sur le récif !
*
_Et nous voilà naufragés, sur la plage d'une île déserte ... Les seuls êtres vivants que nous avons pu voir sont de rares petits crabes et des oiseaux de mer blancs qui s'approchent de nous, comme étonnés de notre débarquement sur leurs rivages ...

_" J'avais lu quelque part que, même dans les endroits les plus désertiques, il était possible de trouver de l'eau en creusant le sable. J'appelai quelques hommes qui se munirent de pelles. Nous commençâmes à creuser ... A une profondeur de trois pieds, environ, nous rencontrâmes une couche dure de roche corallienne d'une épaisseur d'environ six pouces. Ensuite, le sol était meuble.

_"A cinq pieds de profondeur, il était semblable à de la craie humide ... C'était bon signe. Je goûtai cette boue : Elle était douce. Assoiffé, un chien, qui se trouvait là, la lêcha avidement. Encore quelques pelletées et nous avions de l'eau en quantité suffisante pour remplir le fond d'un pichet. Tous, nous la goûtâmes : Bien qu'elle fût blanche comme de la craie, nous la trouvâmes fraîche et douce. Elle avait un arrière-goût de lait frais ...







                                   À  SUIVRE ...

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