LES PETITS CAILLOUX
LES CHEMINS DE COMPOSTELLE-1
« ON RACONTE ENCORE, SIRE, Ô ROI
BIENHEUREUX, QUE SINDBAD DE LA MER SE MIT À CONTER SON DEUXIÈME VOYAGE À SES
AMIS, RÉUNIS AUTOUR DE LUI … »
***
LES CHEMINS DE COMPOSTELLE
« Je serai donc demain le mort et le mystère, Moi qui suis
aujourd’hui celui qui va chantant.»
Borges – Les énigmes (L’Autre, le Même.)
LES CHEMINS DE COMPOSTELLE.
*************
J’avais passé la nuit dans l’une des
maisons d’un village abandonné, perché sur le haut de la colline. L’église
était tout aussi abandonnée. C’était un peu triste et le paysage en Aragon est
sévère, bien que superbe. À Jaca, où j’étais arrivé en passant par le col du
Somport, j’avais rencontré au gîte une jeune Japonaise. Elle s’appelait Yoshimi
: Charmante et primesautière. Nous avions poursuivi ensemble le chemin. Pour ne
pas laisser abîmer son joli teint par le soleil, elle marchait en tenant,
ouvert, un parapluie rose. L’une des baleines était cassée … Mais elle marchait
bien. Le seul problème pour moi, c’est qu’elle ne parlait pas un mot de
français, très peu d’anglais, vraiment très, très peu, et pas beaucoup plus
d’espagnol.
Comme je n’entends pas le Japonais au-delà d’un mot : « sayonara », connu de tous, mais fort peu utilisable en la circonstance, la communication était restreinte. Yoshimi trottait devant moi. Je la perdais de vue à chaque virage de l’étroit sentier qui se tortillait à flanc de colline. Il m’arriva de faire une lourde chute en glissant sur les cailloux. Que pouvait-elle faire alors que je peinais à me relever, mon sac à dos pesant dix-sept kilos ? Elle tournait autour de moi en poussant de petits cris, toujours son parapluie rose à la main ! C’est alors que je ramassai ce fameux caillou rouge, rayé de blanc.
Il est là, tout près de moi, sur le haut
de mon secrétaire, posé dans une coupelle de bois, entre un petit bouddha assis
dans la position du lotus et une petite grenouille de bronze.
Le petit bouddha, je l’ai acheté en
Thaïlande, à Aranyaprathet très exactement, le jour où s’ouvrit la frontière
cambodgienne. La grenouille vient de moins loin … J’ai toujours aimé les
grenouilles, allez donc savoir pourquoi !
Mais pendant que je parle de Yoshimi,
que je rencontrai sur le chemin de Compostelle, il me vient un remords : Nous
avons marché ensemble pendant une huitaine de jours, je crois, peut-être un peu
plus, puis … Manquait elle d’entraînement ? … En arrivant à Logrono, elle
boitait bas, pieds couverts de douloureuses ampoules. Je voulus tenter de faire
quelque chose pour elle, mais elle refusa d’ôter ses chaussures, de peur de ne
pouvoir les remettre. Elle qui avait toujours marché devant moi, maintenant,
claudiquait loin derrière. À Logrono, nous nous quittâmes. De cet abandon, je
garde le remords un peu, mais c’est cela, le chemin : On se rencontre, on se
rejoint, on se quitte … C’est la vie !
Du moins, en arrivant en Galice,
après avoir dépassé Portomarin, à l’aide d’un petit caillou anonyme, j’écrivis
sur une grande plaque d’ardoise dressée au bord du sentier un message
d’encouragement pour Yoshimi … Est-elle allée jusque là et l’a-t-elle lu?
Avouerai-je que je fus un peu soulagé de n’avoir plus à chercher les clefs
d’une communication pratiquement impossible ?
Les petits cailloux
Mais puisque je suis sur le chemin de
Compostelle, il faut, pour ceux qui ne
seraient pas avertis, que je dise les
rencontres avec les cairns, dans les
endroits les plus désolés et les plus
arides. Un cairn, ce n’est rien d’autre
qu’un tas de cailloux. C’est un repère,
en
principe. Il indique un croisement de
sentiers, il signale un endroit
dangereux, il
marque un lieu particulièrement chargé de
sens et de
spiritualité. Vous l’avez aperçu
de loin. C’est une petite pyramide. Rien
qu’une petite pyramide de cailloux.
Ajoutez-y le vôtre en passant. Posez le
tout en haut, rien qu’un petit caillou, tout
banal, sans forme particulière,
sans
couleur spéciale. Votre dépôt maintient la
tradition et entretient le
cairn. On appelle
ces tas de pierres, aussi, des montjoies :
Souvenez-vous du
cri de guerre des
Croisés du Moyen-Âge …
-« Montjoie Saint-Denis » !
À SUIVRE -
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