SAINT LAURENT SUR SÈVRE ...
EN VENDÉE
Après le lycée de Rochefort,
j’allai donc en pension ... chez les Frères ! Je n’y restai qu’une année. J’y
serais bien resté plus longtemps, mais je dus suivre ma famille vers une
nouvelle affectation paternelle.
-”N’a pas l’esprit de Saint Gabriel”,
écrivit le Très Cher Frère Directeur en marge de mon livret scolaire. Je n’ai
jamais su ce que pouvait bien être ce fameux “Esprit de Saint Gabriel” et je ne
comprendrai jamais sans doute en quoi il me faisait défaut, ce qui démontre
bien que les annotations des livrets scolaires ne servent à rien, sauf parfois
à blesser ceux qui en sont les victimes. J’ai pourtant souvenir d’avoir
“saboté” comme les autres dans la cour de récréation (nous portions des
galoches de bois en ces temps d’après-guerre ). J’aimais bien la chapelle,
juste assez grande pour que nous en remplissions tous les bancs. Elle sentait
le bois et la cire. J’avais un missel noir et volumineux, aussi gros qu’un
Petit Larousse ! Je jetais un coup d’oeil oblique sur ce que faisait mon voisin
lorsqu’il tournait les pages : Je n’ai jamais su me débrouiller tout seul pour
cela et je n’ai jamais rien compris au Latin que l’on utilisait en ce temps-là pour
les prières ! J’ouvrais la bouche comme les autres, et je la refermais comme
les autres, pour faire croire que je chantais comme eux. On m’avait convaincu
une fois pour toutes que je chantais faux, et d’ailleurs je n’ai jamais su
aucun cantique. Les portées musicales qui remplissaient les pages étaient sans
signification aucune pour moi, (Il en est toujours ainsi maintenant et je
regrette vivement que personne ne soit parvenu à m’y intéresser).
Le dimanche, nous assistions à la
“Petite Messe”, puis à la “Grande Messe”, à la Bénédiction, et aux Vêpres. À
l’autel, nous tournant le dos, un prêtre s’occupait à ses affaires, qui étaient
bien étrangères aux miennes. Il marmonnait et chantait, alternativement mais
toujours en Latin. J’avais mémorisé quelques bribes, que je saurais encore
restituer. Je somnolais parfois un peu pendant les homélies, mais je n’étais
pas le seul. Quand mes condisciples se relevaient tous ensemble pour
s’agenouiller ensuite, j’en faisais autant.
Parfois, dans la grande salle de
conférences qui nous contenait tous, des prêtres missionnaires venaient nous
parler de leurs travaux en Afrique. Je cotisais comme les autres à la “Ligue
Maritime et Coloniale”, (Je ne crois pas qu’elle s’était déjà rebaptisée
“Ligue Maritime et d’Outre-Mer). En tout cas, beaucoup plus que mes
camarades, je me sentais proche de la Marine et de l’Outre-Mer. J’y avais
quelques références ...
Nous jouions au football dans la
prairie, parfois. Je n’y excellais pas, mais je m’amusais bien. Un Frère
relevait sa soutane et faisait fonction d’arbitre. Il n’en finissait pas de
souffler dans son sifflet à roulette. Un beau jour de printemps, on organisa un
concours de pêche à la ligne., au bord de la rivière.
Je ne pris pas le moindre gardon,
mais j’avais été heureux parmi les roseaux. Et si c’était ça, le bonheur ?
Par contre, aux combats de lutte,
j’étais imbattable. De la “prise de l’ours”, je m’étais fait une spécialité,
misant, pour la réussir, sur ma taille et sur mon poids. Mais un seul concours
de lutte fut organisé ... Dommage, cela m’avait permis “d’exister”. Chacun a
bien besoin de se sentir “exister” en quelque domaine.
Deux ou trois fois par an on
organisait un jeu collectif étrange, que je n’ai jamais retrouvé ailleurs et
dont je ne connais pas les origines : Cela tenait de la thèque, et donc du
base-ball, mais on jouait monté sur des échasses et en sabots de bois. Je n’y
ai pas joué personnellement, étant relégué aux rangs des spectateurs. Sans
doute eût-il fallu demeurer beaucoup plus longtemps à la Pension Saint-Gabriel
pour avoir droit aux échasses et être intégré à une équipe. Les jeunes Vendéens
n’étaient pas toujours très fraternels vis-à-vis des “étrangers”.
Il m’arrivait de me sentir
malheureux. je me réfugiais alors à la lingerie. Là aussi, cela sentait bon le
bois de chêne et la cire d’abeilles. Cela sentait aussi le drap repassé humide,
et un peu la lessive encore.
Nos vêtements étaient pliés et
empilés dans des casiers, chaque pile surmontée de la casquette galonnée, la
veste bleu marine suspendue à côté, que nous porterions pour les dimanches de
sortie.
Je ne sortais pas. On ne venait me
chercher qu’à la fin de chaque trimestre.
À Saint-Gabriel, on m’apprit un peu
... à jouer du clairon ! ... pour la fanfare qui précédait nos colonnes à
travers les villages et les bourgs, de reposoir en reposoir ... Il y en a, des
reposoirs, en Vendée !
Si j’ai gardé un souvenir ému du
“Frère linger”, c’est que c’était un brave homme. Il me faisait boire du
tilleul, dans une grosse tasse en faïence, sur sa table à repasser .
J’aimais bien aussi le “Frère
cordonnier”. Il clouait des bandes de caoutchouc sous les semelles de nos
galoches. J’aimais aussi le “Frère-portier”. Vingt ans plus tard, alors que je
passais par là pour revoir notre chapelle, je retrouvai, dans les mêmes
fonctions, le “Frère-portier”... et il se souvenait très bien de moi !
“L’Académie de Saint-Gabriel”, une ou
deux fois par an, organisait des “concours littéraires”. Les “Académiciens”
siégeaient sur l’estrade de la salle de conférences, le jour de la proclamation
des prix. J’obtins une mention, décernée pour “les contrastes de mon style”.
J’avais eu à présenter une
composition sur la nativité. Il est vrai que je réussissais toujours assez bien
mes compositions françaises, mais là se bornaient mes talents. Je n’ai même
jamais rien su en grammaire ou en arithmétique. Peut-être mon esprit y était-il
hermétique, ou bien avait-on tenté de me les enseigner de façon aussi adéquate
qu’on l‘avait fait en éducation musicale ... Il me fallut longtemps pour ne pas
paraître complètement stupide en ces matières, encore que je ne sois pas très
certain d’y être parvenu !
J’obtins pourtant un premier prix ...
en Histoire Religieuse ! Mais je suis encore beaucoup plus fier de la mention
accordée par “l’Académie”.
Cependant, je n’avais pas “l’Esprit
de Saint-Gabriel” ! C’était écrit ... Il est vrai que j’avais eu parfois des
velléités d’arguties pour opposer la liberté de l’homme à la Toute Puissance de
Dieu .... Trop, et trop tôt philosophe ?
Un beau jour, je me retrouvai en
Provence. Il fut difficile, semble-t-il, de trouver un établissement scolaire
dans lequel on voulut bien m’accueillir. Mon frère aîné fréquentait le lycée de
Draguignan mais sans doute mes références étaient-elles insuffisantes pour que
l’on m’en ouvrît les portes ... C’est dommage, j’y ai manqué la rencontre avec
le beau-père de “François”. Il en était le proviseur.
-”Nous aurons tout tenté. Attendons
encore un peu avant de le mettre en apprentissage.”
À titre d’essai, mes parents
m’avaient tout de même envoyé passer les vacances chez un ostréiculteur du
bassin de Marennes. J’avais beaucoup apprécié les expéditions en bateau dans
les parcs à huîtres de la Seudre.
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