LE MAROC ET PUIS ...
LES PETITS CAILLOUX PERDUS
Combien en ai-je vu, des caravanes !
AU MAROC
SUR L’OCÉAN ATLANTIQUE
Je dois avoir douze ans. Avec notre
mère, nous nous trouvons embarqués sur un cargo mixte dont je ne sais plus le
nom. Nous sommes partis de Casablanca, si mes souvenirs sont bons. Le bateau
doit faire escale à Mogador et nous conduire jusqu’à Agadir où mon père nous
attend. C’est la guerre en Europe et l’on ne dispose ni d’automobile, ni
d’essence pour faire ce long voyage par la route …
Il fait « un temps de
curé » ! La mer est aussi calme qu’une mare d’huile. Aucun souffle de
vent. Une chaleur à crever. Dans notre cabine, nous couchons dans des
couchettes superposées : Bonne occasion pour chahuter, je fais tomber mon
frère de la couchette supérieure, il se fend le cuir chevelu. Il saigne
abondamment. Cela ne sera pas grave, mais on a dû lui bander la tête …
pansement impressionnant !
Depuis quelques jours les adultes qui
nous entourent, et particulièrement le commandant du navire, semblent
inquiets : La cargaison s’est déplacée, mal arrimée par des dockers peu
soigneux. Le bateau s’incline sur tribord ( tribord, c’est la droite
m’a-t-on expliqué … Et pourquoi les marins ne parlent-ils pas comme tout le
monde ?) Nous prenons de la gîte, de plus en plus de gîte …
Chaleur écrasante, toujours pas de
vent et pas une ride sur la mer. Le bateau se traîne. Il s’incline de plus en
plus. Il a tellement de gîte que l’eau arrive juste au-dessous du
plat-bord : La situation est sérieuse. Néanmoins, toujours à toute petite
vitesse, nous parvenons à entrer dans le port : À quai, vite ! On
décharge la cargaison, le plus vite possible, puis on la rechargera de façon
plus stable. Ces opérations prennent plusieurs jours : Un quai en plein
soleil, une voie ferrée rouillée, des grains de blé dispersé entre les rails …
Occuper le temps : Pêche à la ligne au bout de la jetée … Jamais vu autant
de poissons ! On est obligé de taper sur l’eau avec un bâton pour que
l’hameçon ait le temps de couler : Il faut éloigner les petits sars pour
que l’appât atteigne les profondeurs où sont les gros !
Mogador est une ville fortifiée
autrefois par les Portugais. Plus tard, elle s’appellera Essaouira (La bien
dessinée), et deviendra une destination recherchée par les touristes
fortunés.
Photo gratuite : Merci !
-« Au loin, les îles
Purpuraires ;
En dessous,
l’océan, en dégradés de couleurs …
sardine
argentée
vert glauque
rose saumoné
jaune sablonneux
et enfin panaché de blanc à la lisière des vagues, signature du vent.
Je
me pète la gueule à la force de l’intensité visuelle du spectacle,
levant mon verre à l’infini salé : c’est la mer à boire. »
Jean Edern Hallier (Carnets
inpudiques)
Nous repartirons vers le port d’Agadir,
dans lequel nous entrerons sans plus d’encombre …
Souvenirs de fruits, sucrés comme
les dattes, « sucramers» comme les coings, grumeleux comme figues de
Barbarie, juteux comme grenades. Odeurs d’épices et de terres chaudes. Cailloux
tranchants, eaux claires, vents tièdes et libres ... marcassins, gazelles,
sarcelles ...
Et l’Atlas, ligne bleue ourlée de
blanc, du côté de l’Est.
En 1941, nous demeurons au sud
d’Agadir. Nous sommes, à cette époque les seuls Européens dans l’endroit, ou
presque. Tous les matins, une voiture de la Base Aéronavale nous conduit à
l’école de la ville : sept kilomètres à parcourir, voiture à carrosserie
rectangulaire, noire, le coffre arrière fait saillie, la peinture reluit ...
Une Juvaquatre ? Petits rideaux aux vitres, vases uniflores de cristal.
Délicieuse voiture ! Plus tard, le nombre d‘écoliers ayant augmenté, on nous
mènera en autobus. L’allégresse y gagnera avec le nombre, se traduisant
immanquablement par des chants, des cris, des rires.
- ”Imaginez une nouvelle aventure de
Pinocchio.”
Ivresse de l’écriture ! Je rivalise
avec bonheur avec une fillette de mon âge pour obtenir les meilleures notes.
Elle est blonde. Son père est, je crois, médecin.
Ses cheveux sont tirés, tressés,
roulés en coquilles sur les tempes. Elle a les yeux bleus. Nous avons onze ans.
Je l’aime d’amour. Le jour de notre première communion solennelle, nous avons
échangé des images pieuses, à placer entre les pages de nos missels tout neufs.
J’ai une autre raison de me souvenir
de ma première communion. Je portais un costume sombre et un brassard en
dentelles. L’abbé Souris Prononçait l’homélie ... Pas celui de la “Jouvence”,
celui qui était aumônier de la Marine, ancien brancardier pendant la Guerre de
Quatorze, trois palmes à sa Croix de Guerre et quatre fois trépané !
-” Qu’est-ce que vous venez faire
ici, les enfants ? ... vivre une belle cérémonie et puis après aller faire un
bon repas ? _ Eh bien, la Première Communion, ce n’est pas ça !”
À la fin de l’année, mon amie obtint
son diplôme du Certificat d’Études Primaires. Je ne l’obtins pas : En dehors
des compositions françaises, j’étais nul, absolument nul.
- ”Ne va pas la voir !”
Trente ans après ... “Ne va pas la
voir !” - Elle habite à quelques kilomètres de chez moi, sur la côte atlantique.
Je n’y suis pas allé. Je ne l’ai jamais revue. C’est aussi bien ainsi, sans
doute ... Je garde intact le souvenir de ses cheveux blonds en coquilles et de
ses yeux bleus.
- ” Ne retourner jamais vers ses
amours enfantines, ce sont de trop précieux souvenirs!”
Rentré en France, je subis les
épreuves d’un examen nouvellement et opportunément créé. Je composai donc à
nouveau :
_” Racontez un livre que vous avez
aimé.”
Je racontai ... Les “Mémoires d’un
Âne”, de la Comtesse de Ségur (née Rostopchine...) Cet examen me
permit de rentrer en classe de sixième, à Rochefort-sur-mer, au lycée Pierre
Loti, triste bâtisse de style jésuite, hauts murs et fenêtres haut perchées.
Morne passage en ces lieux. Le hall d’entrée, à colonnes de faux marbre, était
revêtu de grandes plaques de marbre (vrai, celui-là ) sur lesquelles
s’alignaient les noms des anciens élèves “Morts pour la France”
Listes impressionnantes de
Capitaines, de Lieutenants, de Généraux, de spahis, d’artilleurs et de marins
avec, face à chaque nom suivi du prénom, une mention du lieu de la bataille qui
avait été fatale. On longeait ensuite un long cloître (Les bâtiments avaient
autrefois abrité un établissement des Jésuites), au fond duquel se
tapissaient le Surveillant-Général et le Censeur des Études.
On parvenait alors au pied de
l’escalier qui menait au bureau de Monsieur le Proviseur. Il m’arriva une fois
de monter cet escalier : Je comparaissais devant le Conseil de Discipline -
Gens doctes et compassés, peu engageants et manquant d’aménité. Je m’étais
battu, je crois - Je ne sais pas avec qui - Quand on est, comme je l’étais,
fils d’officier, il n’était pas si facile d’exister, en cette période “rouge”
d’après guerre. Le Tribunal a tranché : On ne me reprendra pas à la prochaine
rentrée.
Le pont transbordeur de Rochefort sur mer.
-” Et puis, vous savez, nous vous
conseillons de le placer au plus vite en apprentissage chez un menuisier, ou
mieux : chez un ostréiculteur. “
Tout était dit de l’estime en
laquelle on me tenait et tout était dit du crédit que l’on accordait à mon
avenir, tout était dit, également, de l’estime que l’on avait pour les
menuisiers et les agriculteurs ! ... Après tout,peut-être bien que si j’étais
devenu ostréiculteur ou menuisier, j’aurais été tout aussi heureux ! ... On ne
refait pas le passé.
Pourtant; j’aimais lire, j’aimais
raconter, j’aimais les poèmes ... Et j’aimais faire enrager mon frère, le
“matheux” :
-” Et pourquoi ne pourrais je pas
faire passer plusieurs droites parallèles par le même point ? - Un point n’a
pas d’épaisseur, mais une droite non plus : Pas d’épaisseur plus pas
d’épaisseur, cela fait toujours pas d’épaisseur !” Il se mettait en colère et
me traitait d’imbécile. Ce qui ne me démontait pas. Lui, il avait l’esprit
rationnel et scientifique. Il bricolait des postes à galène et installait des
haut-parleurs sous le lit de la petite bonne, dans la chambre à côté. Il la
faisait ainsi sursauter et hurler en pleine nuit. Moi, je m’intéressais plus à
l’élevage des vers à soie, dans des boîtes à chaussures, sur la table de notre
chambre.
C’était dit, je ne comprendrais
jamais rien aux mathématiques et j’étais imperméable à toute logique.
D’ailleurs, je ne savais même pas mes tables de multiplication ... C’est tout
dire!
La porte de l'arsenal de Rochefort.
« CELA FAISAIT VINGT-SEPT
ANNÉES ET ILS N’AVAIENT PLUS D’ESPOIR DE ME REVOIR. AUSSI, LORSQUE JE REVINS ET
QUE JE LEUR RACONTAI TOUT CE QUE J’AVAIS FAIT ET TOUT CE QUI M’ÉTAIT ARRIVÉ,
ILS FURENT STUPÉFAITS … »
Les Contes des Mille Et Une Nuits
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