samedi 11 avril 2015

LE CANNET DES MAURES




LA PROVENCE





                                                                                                 Moulin à huile d'olive











Sur la gauche, le nouveau village du Cannet : Rien qui attire l’oeil.

-” Mais regarde ! Regarde entre les cyprès ... Là ! Deux tours carrées, des fenêtres ouvertes. Allons, il y a de la vie au château !”

On arrivait par un petit chemin qui n’était pas goudronné. On passait devant la chapelle. Le chemin faisait un large détour, puis il décrivait un demi-cercle ... Cyprès. Vous débouchiez sur la façade et sur la porte d’entrée. C’était le château de Monsieur le Marquis de C. On l’appelait le château du Bouillidou, ce qui laisse supposer qu’il y avait là une fontaine ou une résurgence. De l’autre côté du château,  il y avait un grand bassin rond qu’on appelait le « bouillou ». C‘était un bassin d’irrigation, mais des poissons dorés y nageaient en quantité. À l’occasion, on s’y baignait, les jours de grande chaleur. Des abords du bassin, on découvrait une terrasse, puis les vignes, jusqu’à la Grande Bastide, où habitait le régisseur et où dormaient les fûts. On apercevait un bouquet de peupliers, celui qui  marquait l’emplacement du cours de l’Argens, puis les hangars des avions, les pins. Le paysage se relève ensuite, amorçant le massif en haut duquel La Garde-Freinet veille sur le golfe de Saint-Tropez. À gauche, on sait qu’il y a Saint-Raphaël.










                                                                             Pressoir à huile d'olive








Le Marquis de C. est un homme solide et digne. On l’imaginait fort bien Colonel dans un régiment de Cuirassiers. Courtois, affable, il était par ailleurs très discret, parlait peu et ne parlait jamais de lui. Je crois me souvenir qu’il était invalide d’un bras, blessure de guerre, dont je ne l’entendis jamais parler, ni pour s’en plaindre, ni pour s’en glorifier. Nous ayant accompagné auprès de Madame la Marquise, il arrivait qu’il nous quittât pour s’enfermer dans sa bibliothèque. Un jour tout au plus, j’aperçus par la porte entrebâillée le large bureau et les interminables rayons de livres reliés, dorés, armoriés. Il y avait là un véritable trésor qui devait demeurer un mystère, avec tous ses attraits. Le mystère constitue le sacré, il vaut mieux ne point l’avoir pénétré.



Madame la Marquise devait avoir la cinquantaine à cette époque-là. C’était une femme de grande allure, de grande classe, simple, charmante, noble naturellement. Elle avait une forte poitrine, ayant eu de nombreux enfants.

Au château, mes pieds foulent les mêmes tapis que foulaient, je le savais, ceux qui portaient les plus grands noms de France et leurs alliés. Ils étaient passés par là. Ils passeraient par là : les Bourbon, Bourbon-Parme, Bourbon-Sicile, les de La Tour du Pin. Comment cela n’aurait-il pas alimenté mes rêves ?



















J’étais le garçon qui grimpait à l’abbaye du Thoronet, celui qui jouait à “saute-vignes”, celui qui dévalait dans l’ivresse du soleil et du vent. Rêver ? ... Est-ce que je rêvais ?

J’aimais. Qui est-ce que j’aimais ? Mais l’amour a-t-il besoin de se préciser en un objet ? L’amour est un état auquel tout concourt et qui embrasse tout. J’aimais, voilà tout.

Le Marquis avait cinq filles. trois étaient plus âgées que moi. Je devais être amoureux des trois, mais aussi bien j’étais amoureux des deux plus jeunes, du château, de la plaine, de la vallée, des cyprès et des peupliers, des odeurs des cistes et de la lumière. Pourtant, je dois l’avouer, j’étais attiré par la seconde, qui aurait été bien étonnée si elle l’avait appris ! Je portais dans mon cœur son prénom comme quelque chose de très précieux et de très secret. Je n’ai jamais pensé à autre chose qu’à conserver son image. Encore, celle-ci n’était pas séparable de ce qui l’accompagnait. À cet âge, c’est l’univers que l’on aime! Sans rien en séparer !

Souvenirs, souvenirs ... Ils sont là, mes souvenirs. ils sont là, les visages de mes fées. L’une brune, les cheveux en lourds rouleaux, l’autre blonde, la troisième châtain, et les petites...




























Créche provençale de l'église Ste. Catherine
   
                  Le Cannet-Côte d'Azur




Un jour, ma famille quitta la région. Je ne suis revenu qu’une seule fois au château, à bicyclette. J’avais fait une longue route et j’avais dormi dans un fossé. Puis les années ont passé, les lustres. L’autoroute a été construite. Je suis passé par là plusieurs fois. J’ai regardé les deux tours. Du train ou de la route, je guette longtemps à l’avance les deux tours entre les cyprès.

Je sais qu’un jour je retournerai là-bas. Je serai seul. Je sonnerai et l’on m’ouvrira la porte couleur de miel. On me demandera ce que je cherche, car je n’aurai pas prévenu.

-”Je cherche mon adolescence, mes amours et mes rêves ...”

Qui demeure au château, maintenant ? Quelles traces y trouver ? Quelles couleurs ?

Ocre sont les murs. Sombres sont les cyprès. Larges sont les baies qui donnent sur la terrasse. La table de la salle à manger est longue. Les chaises ont de hauts dossiers droits. Les trois aînées se succèdent à la cuisine. La Marquise préside, mon père est assis à sa droite. Le Marquis est en face, ma mère à son côté.



Nous attendons le temps d’aller courir ... Les escaliers sont nombreux. Les couloirs sont longs. Les chambres se succèdent. On peut grimper jusque dans les combles et jusque dans les tours ! Que de jeux ! Que de rires ! Souvent, mon sang a couru plus vite dans mes veines, mon cœur a battu plus fort. Mes tempes ont connu la chamade !

C’était peut-être à cause de nos courses ... Quand j’y pense, mes tempes battent encore .

Ou bien, ou bien, avant d’aller là-bas, j’écrirai :


« Monsieur le Marquis,


Mais y a-t-il encore un Marquis de C. au château ?
Le Marquis que j’ai connu doit reposer dans la chapelle, Madame la Marquise aussi. Ils n’avaient, comme on dit, pas d’héritier mâle ... Cinq filles ! Alors, comment rédiger l’adresse de ma lettre ?
Au bout du compte, si jamais je retourne là-bas ... J’ai vraiment envie d’y aller “comme ça“, sans prévenir,

-”Me voilà. C’est moi !”





















Je ne doute pas que, comme autrefois, on me fasse entrer avec le sourire. Ô mes amours !

...

Le Mistral souffle fort. Il s’est levé ce matin et courbe les hautes herbes folles. Il siffle dans les branches. Il souffle si fort que les cigales se taisent.

Tenir debout contre le vent, en écartant les pans de sa chemise pour qu’elle serve de voile. Essayer de courir vent debout, reculer, tomber à terre, se relever, recommencer ...

Ah ! Rien que le vent ! Le vent exclut tout autre bruit que le sien propre, toute vie autre que la sienne et la mienne. Je m’éprouve et je me sens vivre.

Monter à Lorgues, le pourrai-je demain ? Existe-t-il autre chose que demain ?

Le Mistral ... Vous savez qu’il peut arrêter les locomotives ! Et s’il soufflait aussi fort quand je redescendais du Thoronet !





























Créche provençale de l'église Ste. Catherine
   
                  Le Cannet-Côte d'Azur






Le temps ne se déroule pas comme la laine d’une pelote. Les fils en sont emmêlés comme ceux d’un écheveau embrouillé, ces écheveaux qu’il nous fallait tenir sur nos avant-bras levés, afin que nos mères, elles, puissent en peloter le fil ...

C’est toujours dans le désordre que je retrouve l’odeur de la figue et celle de l’amande, le goût d’un baiser, l’odeur de la citronnelle ou celle du magnolia ...

Ah ! Le rappel de la perdrix dans les buissons d’épines ! La douceur du ventre d’un chevesne au creux de la main, l’odeur suave de l’olive écrasée sous la meule !


...

La seule fois où je revins au château, à l'aube, quand je m'éveillai dans mon fossé au bord de la route, me redressant, je m'aperçus que je me trouvais au pied de la butte du moulin. Son nom m'échappe et j'enrage de ne pas pouvoir le retrouver (Le moulin de Figarelle je crois … Ah ! Figarelle !). Il appartenait à Monsieur le Marquis. On y pressait les olives. Je ne saurais lui attribuer un âge : Il surgissait du fond des temps. Odeur des fruits écrasés par la meule verticale et qui tournait ... Parfum un peu acide. Fruits écrasés et réduits en pâte violette. Les ouvriers la tassaient dans des couffins en forme de couronnes qu'ils entassaient sur le pressoir. On entendait grincer la roue à aubes, dans le cours du ruisseau. Les axes en bois d'olivier sans âge tournaient, luisants, forts, indestructibles, bibliques. L'huile vierge coulait. Mille parfums ! Nous étions sortis de la durée, sortis du temps ! Le moulin existe-t-il encore ? Le moulin tourne-t-il encore ?


Quarante-cinq ans ont passé. Les feuilles des oliviers sont toujours argentées sur une face, vertes sur l'autre. Le vent les agite. La terre est rouge toujours. Passent les années, se transmettent les noms, perdurent les vignes et les arbres. Y a-t-il des perdrix encore, aux pentes du Thoronet ? Rappellent-elles leurs pouillards ? Le faucon crécerelle décrit-il encore des cercles au-dessus des ravins et siffle-t-il encore ?


À droite, du collège, juste à le toucher, il y avait une fabrique de tomettes. L'argile rouge, malaxée, broyée, diluée, reposait dans de grands bassins. Elle y prenait consistance, se ressuyant au soleil. Qui dira la douceur de l'argile rouge quand la main se referme ?

Comme il se doit, les tomettes étaient hexagonales, cuites, lisses, mates, elles étaient empilées et rangées avant l'expédition. Splendeur de l'humble tomette, fruit du travail des hommes ! Terre devenue autre chose que de la terre, et cela, depuis la nuit des temps ! Les tomettes, les couffins de paille tressée dans lesquels on pressait les olives, les bassins, les oliviers millénaires ... Hors du temps, comme les tours du château, comme les murs de la « Grande Bastide" . Pourquoi faut-il qu'à présent, ces repères soient pour moi perdus ?
































Créche provençale de l'église Ste. Catherine
   
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