LA PROVENCE
Moulin à huile d'olive
Sur la gauche, le nouveau village du
Cannet : Rien qui attire l’oeil.
-” Mais regarde ! Regarde entre les
cyprès ... Là ! Deux tours carrées, des fenêtres ouvertes. Allons, il y a de la
vie au château !”
On arrivait par un petit chemin qui
n’était pas goudronné. On passait devant la chapelle. Le chemin faisait un
large détour, puis il décrivait un demi-cercle ... Cyprès. Vous débouchiez sur
la façade et sur la porte d’entrée. C’était le château de Monsieur le Marquis
de C. On l’appelait le château du Bouillidou, ce qui laisse supposer qu’il y
avait là une fontaine ou une résurgence. De l’autre côté du château, il y
avait un grand bassin rond qu’on appelait le « bouillou ». C‘était un
bassin d’irrigation, mais des poissons dorés y nageaient en quantité. À
l’occasion, on s’y baignait, les jours de grande chaleur. Des abords du bassin,
on découvrait une terrasse, puis les vignes, jusqu’à la Grande Bastide, où
habitait le régisseur et où dormaient les fûts. On apercevait un bouquet de
peupliers, celui qui marquait l’emplacement du cours de l’Argens, puis
les hangars des avions, les pins. Le paysage se relève ensuite, amorçant le
massif en haut duquel La Garde-Freinet veille sur le golfe de Saint-Tropez. À
gauche, on sait qu’il y a Saint-Raphaël.
Le Marquis de C. est un homme solide
et digne. On l’imaginait fort bien Colonel dans un régiment de Cuirassiers.
Courtois, affable, il était par ailleurs très discret, parlait peu et ne
parlait jamais de lui. Je crois me souvenir qu’il était invalide d’un bras,
blessure de guerre, dont je ne l’entendis jamais parler, ni pour s’en plaindre,
ni pour s’en glorifier. Nous ayant accompagné auprès de Madame la Marquise, il
arrivait qu’il nous quittât pour s’enfermer dans sa bibliothèque. Un jour tout
au plus, j’aperçus par la porte entrebâillée le large bureau et les
interminables rayons de livres reliés, dorés, armoriés. Il y avait là un
véritable trésor qui devait demeurer un mystère, avec tous ses attraits. Le
mystère constitue le sacré, il vaut mieux ne point l’avoir pénétré.
Madame la Marquise devait avoir la
cinquantaine à cette époque-là. C’était une femme de grande allure, de grande
classe, simple, charmante, noble naturellement. Elle avait une forte poitrine,
ayant eu de nombreux enfants.
Au château, mes pieds foulent les
mêmes tapis que foulaient, je le savais, ceux qui portaient les plus grands
noms de France et leurs alliés. Ils étaient passés par là. Ils passeraient par
là : les Bourbon, Bourbon-Parme, Bourbon-Sicile, les de La Tour du Pin. Comment
cela n’aurait-il pas alimenté mes rêves ?
J’étais le garçon qui grimpait à
l’abbaye du Thoronet, celui qui jouait à “saute-vignes”, celui qui dévalait
dans l’ivresse du soleil et du vent. Rêver ? ... Est-ce que je rêvais ?
J’aimais. Qui est-ce que j’aimais ?
Mais l’amour a-t-il besoin de se préciser en un objet ? L’amour est un état
auquel tout concourt et qui embrasse tout. J’aimais, voilà tout.
Le Marquis avait cinq filles. trois
étaient plus âgées que moi. Je devais être amoureux des trois, mais aussi bien
j’étais amoureux des deux plus jeunes, du château, de la plaine, de la vallée,
des cyprès et des peupliers, des odeurs des cistes et de la lumière. Pourtant,
je dois l’avouer, j’étais attiré par la seconde, qui aurait été bien étonnée si
elle l’avait appris ! Je portais dans mon cœur son prénom comme quelque chose
de très précieux et de très secret. Je n’ai jamais pensé à autre chose qu’à
conserver son image. Encore, celle-ci n’était pas séparable de ce qui
l’accompagnait. À cet âge, c’est l’univers que l’on aime! Sans rien en séparer
!
Souvenirs, souvenirs ... Ils sont là,
mes souvenirs. ils sont là, les visages de mes fées. L’une brune, les cheveux
en lourds rouleaux, l’autre blonde, la troisième châtain, et les petites...
Créche provençale de l'église Ste. Catherine
Le Cannet-Côte d'Azur
Un jour, ma famille quitta la région. Je ne suis revenu qu’une seule fois au château, à bicyclette. J’avais fait une longue route et j’avais dormi dans un fossé. Puis les années ont passé, les lustres. L’autoroute a été construite. Je suis passé par là plusieurs fois. J’ai regardé les deux tours. Du train ou de la route, je guette longtemps à l’avance les deux tours entre les cyprès.
Je sais qu’un jour je retournerai
là-bas. Je serai seul. Je sonnerai et l’on m’ouvrira la porte couleur de miel.
On me demandera ce que je cherche, car je n’aurai pas prévenu.
-”Je cherche mon adolescence, mes
amours et mes rêves ...”
Qui demeure au château, maintenant ?
Quelles traces y trouver ? Quelles couleurs ?
Ocre sont les murs. Sombres sont les
cyprès. Larges sont les baies qui donnent sur la terrasse. La table de la salle
à manger est longue. Les chaises ont de hauts dossiers droits. Les trois aînées
se succèdent à la cuisine. La Marquise préside, mon père est assis à sa droite.
Le Marquis est en face, ma mère à son côté.
Nous attendons le temps d’aller
courir ... Les escaliers sont nombreux. Les couloirs sont longs. Les chambres
se succèdent. On peut grimper jusque dans les combles et jusque dans les tours
! Que de jeux ! Que de rires ! Souvent, mon sang a couru plus vite dans mes
veines, mon cœur a battu plus fort. Mes tempes ont connu la chamade !
C’était peut-être à cause de nos
courses ... Quand j’y pense, mes tempes battent encore .
Ou bien, ou bien, avant d’aller
là-bas, j’écrirai :
« Monsieur le Marquis,
Mais y a-t-il encore un Marquis de C.
au château ?
Le Marquis que j’ai connu doit
reposer dans la chapelle, Madame la Marquise aussi. Ils n’avaient, comme on
dit, pas d’héritier mâle ... Cinq filles ! Alors, comment rédiger l’adresse de
ma lettre ?
Au bout du compte, si jamais je
retourne là-bas ... J’ai vraiment envie d’y aller “comme ça“, sans prévenir,
-”Me voilà. C’est moi !”
Je ne doute pas que, comme autrefois,
on me fasse entrer avec le sourire. Ô mes amours !
...
Le Mistral souffle fort. Il s’est
levé ce matin et courbe les hautes herbes folles. Il siffle dans les branches.
Il souffle si fort que les cigales se taisent.
Tenir debout contre le vent, en
écartant les pans de sa chemise pour qu’elle serve de voile. Essayer de courir
vent debout, reculer, tomber à terre, se relever, recommencer ...
Ah ! Rien que le vent ! Le vent
exclut tout autre bruit que le sien propre, toute vie autre que la sienne et la
mienne. Je m’éprouve et je me sens vivre.
Monter à Lorgues, le pourrai-je
demain ? Existe-t-il autre chose que demain ?
Le Mistral ... Vous savez qu’il peut
arrêter les locomotives ! Et s’il soufflait aussi fort quand je redescendais du
Thoronet !
Créche provençale de l'église Ste. Catherine
Le Cannet-Côte d'Azur
Le temps ne se déroule pas comme la
laine d’une pelote. Les fils en sont emmêlés comme ceux d’un écheveau
embrouillé, ces écheveaux qu’il nous fallait tenir sur nos avant-bras levés,
afin que nos mères, elles, puissent en peloter le fil ...
C’est toujours dans le désordre que
je retrouve l’odeur de la figue et celle de l’amande, le goût d’un baiser,
l’odeur de la citronnelle ou celle du magnolia ...
Ah ! Le rappel de la perdrix dans les
buissons d’épines ! La douceur du ventre d’un chevesne au creux de la main,
l’odeur suave de l’olive écrasée sous la meule !
...
La seule fois où je revins au
château, à l'aube, quand je m'éveillai dans mon fossé au bord de la route, me
redressant, je m'aperçus que je me trouvais au pied de la butte du moulin. Son
nom m'échappe et j'enrage de ne pas pouvoir le retrouver (Le moulin de
Figarelle je crois … Ah ! Figarelle !). Il appartenait à
Monsieur le Marquis. On y pressait les olives. Je ne saurais lui attribuer un
âge : Il surgissait du fond des temps. Odeur des fruits écrasés par la meule
verticale et qui tournait ... Parfum un peu acide. Fruits écrasés et réduits en
pâte violette. Les ouvriers la tassaient dans des couffins en forme de
couronnes qu'ils entassaient sur le pressoir. On entendait grincer la roue à
aubes, dans le cours du ruisseau. Les axes en bois d'olivier sans âge
tournaient, luisants, forts, indestructibles, bibliques. L'huile vierge
coulait. Mille parfums ! Nous étions sortis de la durée, sortis du temps ! Le
moulin existe-t-il encore ? Le moulin tourne-t-il encore ?
Quarante-cinq ans ont passé. Les
feuilles des oliviers sont toujours argentées sur une face, vertes sur l'autre.
Le vent les agite. La terre est rouge toujours. Passent les années, se
transmettent les noms, perdurent les vignes et les arbres. Y a-t-il des perdrix
encore, aux pentes du Thoronet ? Rappellent-elles leurs pouillards ? Le faucon
crécerelle décrit-il encore des cercles au-dessus des ravins et siffle-t-il
encore ?
À droite, du collège, juste à le
toucher, il y avait une fabrique de tomettes. L'argile rouge,
malaxée, broyée, diluée, reposait dans de grands bassins. Elle y prenait
consistance, se ressuyant au soleil. Qui dira la douceur de l'argile rouge
quand la main se referme ?
Comme il se doit, les tomettes
étaient hexagonales, cuites, lisses, mates, elles étaient empilées et rangées
avant l'expédition. Splendeur de l'humble tomette, fruit du travail des hommes
! Terre devenue autre chose que de la terre, et cela, depuis la nuit des temps
! Les tomettes, les couffins de paille tressée dans lesquels on pressait les
olives, les bassins, les oliviers millénaires ... Hors du temps, comme les
tours du château, comme les murs de la « Grande Bastide" .
Pourquoi faut-il qu'à présent, ces repères soient pour moi perdus ?
Créche provençale de l'église Ste. Catherine
Le Cannet-Côte d'Azur
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