LA BELLE PROVINCE ... 2
LE PORT DE QUÉBEC ET LE CHÂTEAU FRONTENAC
Le Saint-Laurent, d’abord : On
le voit de partout, large, majestueux, lent, calme, puissant. Par endroits, il
est complètement gelé, pris par une banquise dont certains blocs se dressent
vers le ciel. Aujourd’hui, c’est justement le jour de la course
traditionnelle : À l’aviron, de lourdes barques en bois luttent dans la
traversée du fleuve. Si j’avais su, je serais venu plus tôt jusqu’à l’esplanade
du château Frontenac : Lorsque j’y arrive, les barques sont déjà loin. Les
équipages souquent sur les avirons et, lorsqu’on rencontre une banquise, la
barque y est hissée, puis l’équipage la pousse, la tire, la fait glisser sur la
glace. C’est une belle bataille, qui commémore les luttes autrefois
quotidiennes aux pionniers … On évoque Maria Chapdelaine ou, en d’autres lieux
assez semblables, les ruées du Klondike …
Il a bien neigé : deux lourds
chevaux de trait tirent un traîneau de bois à capote de cuir verni. Les
promeneurs qui occupent les sièges sont couverts de fourrures, leurs genoux
disparaissent sous les couvertures. Leur haleine produit de petits jets de buée
blanche. Celle des chevaux est puissante. Le cocher est aussi couvert qu’un
ours peut l’être de sa pelisse ! Les enfants patinent à qui mieux mieux,
traçant des arabesques ou maniant la crosse de hockey.
Descendre l’avenue, tout droit … On
domine les toits d’ardoise du quartier Saint-Jean, le plus ancien de la ville.
Il borde les quais du Saint-Laurent : Réservons sa visite pour une autre
fois …
Ce coup-ci, nous approchons de la
vieille ville : Le vieux Québec. Les maisons sont de granit, les remparts
aussi. Granit gris : On se croirait à Saint-Malo ! Échoppes et
boutiques … Comme à Saint-Malo en saison touristique : On étale, on
suspend, on entasse les gadgets : Fausses étoles ou ponchos soi-disant
indiens, sculptures et fausses sculptures, sur bois, sur pierre, sur corne …
«Arts des Inuits du Grand Nord », colliers, bijoux, amulettes. Bref, avec
les échoppes, les bistrots et les fast-food : Comme au Mont-Saint-Michel
et comme partout ailleurs. Dans le ciel très bleu passe un petit biplan
traînant une longue banderole :
« Le steak à son meilleur, à La
Calèche ».
On songe immédiatement –
« Vocabulaire français, mais structure linguistique anglaise » …
Ah ! Le poids des voisinages ! Mais la pensée elle-même est-elle
encore française ?
COURSE DE CANOTS SUR LE SAINT LAURENT GELÉ.
Les Québécois sont les Québécois. Ils
revendiquent leur culture, leur langue, et leur accent même … (« J’ai un
accent, moi » ?). L’ensemble constitue leur mode d’expression
propre : Celui d’un peuple américain original. « Maudits
Français », dit-on encore, en pensant sans doute aux batailles de la
Plaine d’Abraham et à l’abandon dans lequel la France a laissé les Canadiens de
la « Nouvelle-France ».
Le Québécois a conservé, et utilise,
des mots, des expressions, des locutions qui nous semblent désuets et
charmants, surprenants parfois. On dit que le vin et les alcools distribués par
des magasins d’état sont « dispendieux ». On jure en s’exclamant
« Tabernacle » ! Mais la langue québécoise, si l’on veut bien
considérer qu’elle est cousine de la nôtre, n’est en aucun cas considérée comme
un Français abâtardi, ni même comme un Français « vieilli ». Ici, on
parle français, pas le français de Paris, mais le français du Québec, qui est
une langue aussi légitime , quant à son vocabulaire ou à ses structures que la
langue actuelle du « Vieux Pays » … Cousins, oui, on le veut bien,
mais ici, on n’est pas les « cousins paysans » !
On comprendra pourtant l’angoisse de
ce peuple francophone entouré de tous côtés par une marée anglophone, laquelle,
par le biais de puissantes influences économiques pourrait bien tout balayer si
l’on devenait moins vigilant :
- « Je vous dirai ce que je
choisis sur votre carte lorsque vous voudrez bien vous adresser à moi en
parlant français », disait un ami Québécois au serveur du restaurant.
Me voilà affublé depuis ce matin
d’une compagnie dont je me passerais bien…
Certains en seraient honorés,
peut-être ? … Madame Schliffery Inspectrice Générale de l’Éducation
Nationale, Française, spécialiste des écoles maternelles, s’est jointe à notre
mission avec tout son panache, sa faconde et sa verve : Elle est
in-sup-portable ! Manteau de vison, toque de même … Elle s’est mis en tête
de rapporter à sa fille une toque de renard argenté. Et c’est sur moi,
pauvre diable, qu’elle a jeté son dévolu pour l’accompagner dans ses
recherches. Allez donc savoir pourquoi sur moi ! Nous passerons plusieurs
journées à courir les magasins et boutiques pour chercher « la toque à
Madame » ! Les magasins et les boutiques sont rassemblés dans
d’immenses centres commerciaux … En février mille neuf cent soixante-quinze les
galeries de la tour Montparnasse existent-elles déjà ? Les centres
commerciaux québécois en sont l’image. : Séries de boutiques alignées dans
des couloirs surchauffés : le carburant n’est pas dispendieux à Québec …
On prononce par ailleurs « d’spendieux », tout comme on dira p’sine
pour dire piscine : principe d’économie en linguistique … En ai-je
parcouru des couloirs, à la recherche de la « toque en renard argenté pour
la fille de Madame » !
-« Vous devriez aller chez le
Chef Gros-Louis. »
Nous voilà partis chez le Chef
Gros-Louis …
« À partir d’ici, vous pénétrez
sur le territoire des Hurons ! »
Le Chef Gros-Louis est le chef des
Hurons. On avait presque oublié qu’il pouvait exister des Hurons ailleurs que
dans les romans de la Bibliothèque Verte et sur les écrans de cinéma … Si,
si, ils existent encore, les Hurons ! Le Chef Gros-Louis tient boutique
dans une baraque en bois, comme au bon vieux temps … Des Hurons ! Derrière
le comptoir, il trône : L’ampleur de sa panse justifie l’attribut de son
nom. Il arbore franges et plumes. Il vend les mêmes fausses fourrures et les
mêmes fausses sculptures que celles qui sont en vente dans la vieille
ville : Gadgets ! Mais il y a tout de même une peau d’ours blanc,
très, très « d’spendieuse » car la chasse des plantigrades est
interdite depuis longtemps. On trouve également des peaux de renards … Madame a
trouvé des toques en renard argenté ! Elle fait des mines et procède
à des essais devant le miroir, lequel est accroché à la paroi entre deux paires
de skis en bois et quelques paires de raquettes tressées. Pendant ce temps-là,
moi, je prends l’air au dehors . La curiosité devrait être interdite sur le
territoire des Hurons … Je suis curieux, que voulez-vous, je suis né comme
ça ! Je fais le tour de la baraque en bois : Derrière, le Chef
Gros-Louis cache sa Cadillac et, dans l’appentis voisin, je peux apercevoir le
complet et le manteau qui remplaceront, l’heure venue, la tunique et les plumes
… Désenchantement ! Je reviens dans la boutique : Madame a trouvé son
bonheur !
Pendant qu’elle aligne ses dollars,
le Chef Gros-Louis distribue des prospectus exposant les revendications du
Peuple Huron … On croit rêver !
L’essentiel n’est-il pas que Madame
Schliffery soit enfin satisfaite ? j’aurai, du reste, de la chance car
elle disparaîtra le lendemain, aspirée par … « d’autres obligations ».
Enfin libre !
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