ROCHEFORT-SUR-MER
UN PARFUM QUE L'ON N'OUBLIE PAS
C'était une petite boutique, une
toute petite boutique toute remplie d'ombres, de mystères et de rêves. De la
rue, on y percevait des éclats dorés ou argentés, des masses plus ou moins
identifiables. Des sacs de jute étaient accroupis le long des murs et devant
des meubles à tiroirs et à portes basculantes. La plupart de ces sacs
montraient des coins étirés en longues oreilles de lièvre. Quelques-uns ayant
le col ouvert, roulé comme le col d'un pull-over, laissaient apercevoir de
grosses graines jaunâtres, ovoïdes, fendues. Il y avait là des trésors, et
leurs provenances, inscrites sur la toile en lettres noires, avaient de quoi
faire rêver : Bogota, Porto Rico, Caracas, Rio de Janeiro, Managua, Moka,
Dakar, Bamako, Conakry ! ... Tout l'imaginaire des expositions coloniales, les
romans, les histoires des conquistadores, Savorgnan de Brazza, Cendrars, José
Maria de Heredia, les Mayas, les Aztèques, l'Arabie, le Mozambique et Fenimore
Cooper tout à la fois, sans autre justification.
C'eût été encore bien peu et cela
n'eût guère justifié ce détour que les écoliers faisaient régulièrement au
sortir des classes, pour se rendre à la maison. D'ailleurs, la plupart du
temps, ils faisaient le détour pour rien, ou à peu près pour rien : Ils ne
faisaient que rêver devant la machine pansue, luisante, que l'on distinguait à
gauche du comptoir de bois rouge. Machine ronde, extérieurement noire, vernie,
de ce noir que l'on ne voit qu'au ventre des locomotives à vapeur d'autrefois :
Un noir plus noir que tout, plus noir que le noir. On aurait pu comparer la
cuve large et profonde à ces "toupies" à l'intérieur desquelles
s'installent deux ou trois enfants et qui tournent, qui tournent sur les
carrousels, entre les chevaux de bois. Celle-là ne tournait pas et l'intérieur
était de cuivre rouge : Un vrai soleil des Caraïbes retenu là, brillant, chaud,
mais sage et calme tout à la fois. Les écoliers rêvaient devant ce soleil dont
quelques rayons allaient effleurer des ustensiles divers : Profondes truelles
ou cuillers de cuivre elles aussi, ventres de plusieurs moulins à manivelles,
poignées de meubles, rebords du comptoir ...
Une fois par semaine ... Et les
nouveaux écoliers de la ville le comprenaient vite ... Une fois par semaine, le
vendredi, je crois, la boutique du marchand de café remplissait vraiment sa
fonction : Le marchand torréfiait ... Autant dire qu'il embaumait tout ce
quartier de la ville. C'était un vrai bonheur !
De nos cinq sens, l'odorat est celui
qui est le plus rarement flatté. Il y a bien l'odeur du pain chaud, chez le
boulanger. Mais surtout le souvenir du four, quand on l'ouvrait, et, mêlée à
l'odeur du pain, celle de la dinde que ma mère avait apportée pour la rôtir !
Il y avait bien aussi l'odeur des
pommes que l'on faisait cuire dans le four de la cuisinière, après leur avoir
évidé le coeur et l'avoir rempli de sucre et de beurre ! Il y avait l'odeur de
l'épicerie : poivre, cannelle, miel et poisson salé. Mais le parfum du café, le
jour où le marchand torréfiait ses graines !
Le café est un breuvage un peu amer,
mais son odeur ! Je ne connais pas d'odeur plus somptueuse, plus enveloppante,
plus subtile et plus impérieuse tout à la fois. Les rues, le vendredi après
midi, en étaient remplies et c'était une fête. Les écoliers, dès la sortie des
classes, humaient le vent, qu'il fût fort ou léger. Ils allaient lentement,
s'emplissant les narines largement ouvertes. Je crois bien qu'ils se taisaient.
En tout cas ils étaient sages, très sages ce jour-là. On eût dit qu'ils
participaient à un cérémonial. Ils s'agglutinaient sur le trottoir : Dans la
large cuve noire une palette tournait, brassait les grains qui prenaient
lentement des tons dorés puis bruns, s'assombrissaient progressivement pour
aller presque jusqu'au noir.
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