vendredi 11 janvier 2019

AU CAP HORN ! HARDI LES GARS !









 











Embarquement sur le ‘ Terra Australis ...




 




Amusante, la faune qui peuple ce bateau : Hormis un couple de jeunes mariés, les passagers appartiennent plutôt à la catégorie des “carte vermeille”. Sympathiques, tous ... Une centaine de passagers. Une dizaine de nationalités. Comme par hasard, les Français se sont retrouvés tous à la même table, dans la salle à manger. Ils sont sept, avec moi, venant de Rio, du Venezuela, de Suisse, de paris. Moi, je viens de Tahiti.
J’ai sympathisé avec un couple : lui est Breton, elle est Israélienne de souche Yéménite. Ils parcourent le monde à tarif réduit car l’homme a travaillé pour Air-France. Pour l’heure, ils arrivent du Viêt-nam en passant par l’Argentine.
Un peu tendance à “tout savoir”, lui, mais bah!


Amusante, la présentation de l’équipage, dans le grand salon. Dispersion après le dîner, pour animer la soirée dansante au salon supérieur.


              





Que ne faut-il pas faire quand on est marin sur un bateau de croisière ! On doit même savoir danser la “danse des pingouins ! Et peut-être même que certains s’y amusent, mais ... semaine après semaine, et tout au long de l’année !


Au bar, les consommations sont gratuites. L’ancien d’Air-France y soigne son “mal de gorge”. Forte posologie ! Il repart de bonne heure. Moi aussi, du reste.


La mer est très calme. À tribord, (ça vous fait navigateur, ces mots-là !) À tribord, on voit très bien la côte.


( Attention aux mots ... aux adjectifs surtout, parce que les paysages risquent de rester semblables à ceux que l’on voit en ce moment, dans e genre minéral et spectaculaire ... Surtout quand ils ont longtemps investis du mythe.)




Nous filons à bonne allure. Quelques gros oiseaux. Pour le moment, c’est tout en ce qui concerne le règne animal.






 







Toi qui commences cette croisière, tu es venu pour la Merveille. D’autres sont là pour s’amuser, leur nuit sera courte ! Ils dansent, et c’est bien ainsi. Mais la force du mythe ... On est au Bout du Monde !


Un phare ... Deux ou trois lumières dans la nuit. Mer calme. Ronronnement des moteurs, très doux. Cabine claire, spacieuse. Au petit matin, découverte des montagnes, chutant droit dans la mer. Crêtes enneigées par traînées, ou bien, par une échancrure, tout un versant blanc qui vient à moi. Formes acérées. Quelques gros oiseaux se laissent emporter par le courant du chenal. ici, Joshua Slocum a tiré des bords, infiniment, ans réussir à passer. Joshua !









Falaises gercées. Des arbres à leur pied. Aux pentes abruptes la végétation est rousse, comme un tissu de suédine. Ciel couvert. Il va pleuvoir ? Couleur d’étain. Couleur de plomb.


Un glacier, plaqué sur la roche. Bleu translucide dans les crevasses ... Beau ... Pourquoi “beau” ?


Splendide ! ( Le spectacle vaut certainement mieux que cet adjectif, galvaudé, mais c’est celui-là qui est venu. Allez donc en trouver un meilleur ! C’est splendide ! )


 



Je voudrais qu’Elle soit avec moi. Comment dire ? On pense aux fjords de Norvège ( que je n’ai jamais vus qu’en images ) des glaçons dérivent comme des cygnes, ( La grâce, la lenteur, le silence, l’indifférence ...);










Des deux côtés du bateau, ( Allez, vas-y : à “tribord” et à”babord” !) les falaises tombent à pic. Buissons, arbres verts au raz de l’eau, arbres morts en grands échalas blancs, perches. neige sur les hauts. Face à moi le glacier. Il tombe à pic lui-aussi. Su-perbe ! gercé, fracturé, large, majestueux ( Arrête ! Arrête ! )
La roche grise, râpeuse, dégouline de cascades. Si je ne voyais que cet unique spectacle, le voyage en aurait valu la peine déjà. Ciel couvert, toujours, mais il ne pleut pas. Nous avons de la chance. La glace étincelle de lumière.


Mer verte, lisse. (mais est-ce vraiment la mer ? )
Ocres rouges, en griffures verticales ).
Passagers emmitouflés. Photos ! Nous sommes au glacier de Videla. demi-tour pour un débarquement au fond du fjord Agostini, mais auparavant, exercice de sécurité , évacuation ... Frisson d’émotion !


-”À vingt heures, ce soir, nous passerons le canal “Ocasion”. Ce sera l’endroit le plus étroit, le plus dangereux.




 





Rugissement. Oui, rugissement du glacier, comme un coup de tonnerre qui se prolongerait. Rien n’a bougé. Que se passe-t-il sous la croûte de l’impassible glacier ? Quelles forces en jeu ? ... Impressionnant !


Mise à l’eau des canots pneumatiques. Ceux qui le désirent vont aller faire quelques pas à terre, sur une petite plage de sable noir, tout près du front du glacier. Hardis aventuriers, dans leurs gilets de sauvetage couleur d’orange !













Vingt deux heures trente ... Canal “Ocasion”. L’endroit est mal pavé ! Longue houle d’abord, et puis il faut passer entre des îlots très proches les uns des autres. Balises à terre. Bouée. Mais le feu que la carte indique n’est pas allumé. Pas de vie. Aucune. Qui viendrait nous chercher là s’il nous arrivait quelque chose ? Cap au sud. Demain, nous serons à Puerto-Williams, mille cinquante habitants ...


Le passager français qui vient de Rio est un diplomate. Ambassadeur ? Consul ? C’est un homme posé. Posé pour deux : sa femme est montée sur ressorts et débite comme une boîte à musique. Elle est originaire de l’île de Ré, qu’elle appelle “l’île dorée”.





 






J’interroge cette terre, cette roche. Mais elles ne me répondent pas. Îles, îlots, steppes, pics et glaciers, pentes buissonneuses râpées ou arborées ... Bras de mer, défilés. Le ciel non plus, vide et plombé, ne répond pas. Les chansons du passé, seules, témoignent. Claquements de voiles grincements de guindeaux et de poulies , halètement des treuils; coups de gueule des boscos ... Le vent, qui coupe. La pluie qui glace. Le temps, infini ...


Dans mon village, en Oléron, au fond du cimetière, on peut voit la tombe d’un commandant. Je l’ai connu. Un ancien cap-hornier ! L’un des derniers ! Un albatros en bronze couvre la dalle de ses ailes.









Croix de bois, aperçue au musée de Punta Arenas, gravée au couteau d’une supplique priant les marins de passage de bien vouloir assurer l’entretien de la croix, sur la tombe de ce capitaine “qui mourut de désespérance” ...


Aujourd'hui la nuée se déchire. Illumination de la neige sur les pentes. Plaintes des Fuégiens. Les Onas, les Alakalufes, les Yaghans dont les tenanciers des estancias à moutons payaient les paires d’oreilles, liées en chapelets ...




 





Plaintes et cris de ces peuples disparus qui s’enduisaient de graisse, nus, pour résister au froid, errant de baie en baie, chassant le phoque, pêchant les moules. Hommes, femmes et enfants exterminés, tout, comme on tue les chèvres sauvages. O ! La barque d’écorce de bouleau .. .Au Musée ... Vide !


Nous sommes entrés dans le canal de Beagle. Mer calme, calme comme un lac. Toujours les falaises, couronnées de neige et de glaces. Cascades , eaux d’un gris argenté. Flancs des montagnes veloutés, d’un vert très sombre, griffé de roux.


Aujourd’hui, un autre petit paquebot de croisière nous a doublés. Nous allons vers Ushuaia, attendant au petit salon que vienne l’heure du petit-déjeuner.
O ! Mes chansons de marins !
Ce canal a, tout à la fois, la splendeur des fjords de Norvège et celle de la baie d’Along. C’est par là que sont passés autrefois les gueux affamés, les chercheurs d’or de la grande Ruée californienne. Par là sont passés les découvreurs, mais aussi tous ces marins des trois ou quatre-mâts qui emportaient dans leurs flancs et sur leurs ponts tous les émigrants partis peupler l’Amérique de leurs rêves.
Nous ne verrons pas une baleine, pas un phoque. Y e a-t-il encore ? Il n’y avait, ce matin, pas même un oiseau !


 



Un autre imaginaire se superpose au mien.


-”Quand j’étais petite, me dit la Canadienne, au moment où nous passons devant un glacier ( pourquoi nommé Garibaldi ? ) Je rêvais aux contes de Grimm : à La “Fée des Glaces” !
Un oiseau ... Un oiseau s’incline sur l’aile droite et frôle la surface de l’eau. Tout à l’heure il y avait un petit voilier au mouillage, dans une crique. Joshua Slocum ou son esprit errant !
Rêve parfait, mer bleue, enfin ! Soleil brillant qui couvre d’étincelles mouvantes les vagues, les nuages, les sommets, les glaces et les neiges.


Sensation de glisser entre ciel et mer, sur un tapis volant silencieux, à toute petite vitesse, entre les montagnes-monstres.
Comment dire sans tomber encore dans les clichés ? ... C’est beau ! Dieu que c’est beau !
*

 


- “J’ai bien entendu. Elle m’a dit d’y aller ! J’irai.
J’ai hésité, bien sûr, à cause du prix ... J’ai hésité, mais je L’ai entendue :


“Vas-y!”


J’ai pris une place dans le twin-oter, à partir de Puerto-Williams, cet après-midi. Il fait si beau ! Nous irons au Cap Horn.


-”Au Cap Horn ! Tu te rends compte !”


Et si, disant que je l’entends me pousser, je ne cherchais que des raisons ?


“Vas-y, te dis-je !”


Pour l’instant, le navire range Ushuaia sur bâbord. Ushuaia ! Ville au nom magique, construite en amphithéâtre aux flancs des monts. Eaux calmes de la baie bleue. Prairies. Nous reviendrons ...














La ville la plus australe du monde ? - Eh ! non, ce n’est pas Ushuaia, bien qu’elle y prétende. Elle est Chilienne. Un millier d‘habitants. Maisons préfabriquées aux toits de métal bleu. Tas de bûches pour l’hiver, fendues. Cinq ou six échoppes dans lesquelles on vend ... Quoi ? ... Des femmes font la queue pour acheter des saucisses nouvellement arrivées, pour le réveillon de Noël !


La moitié des habitations sont occupées par des familles de marins de “l’Armada du Chili”. Un vieux rafiot militaire appareille sous nos yeux. Salut à coups de corne. Envoi du drapeau national. Autre rafiot le long du quai, datant des ancêtres d’Hérode ... solidement tenu par quatre chaînes. Canons. troisième navire. Celui- là repose sur fond de vase. A son côté un petit voilier français au mouillage, un ketch gréé à l’ancienne.
Il faut ramasser un caillou au bord du chemin, un caillou commun, dur, lisse,noir, luisant. Que pourrait-on ramener d’autre, de Puerto Williams ?


Des enfants jouent au football sur le terre-plein du monument “Au Fondateur” ... Le Général Bernardo O’Higgins.



 




Oh ! je sais, il y a encore une agglomération, chilienne, encore plus au sud : Puerto-Toro ! Nous irons à Puerto Toro, mais combien d’âmes, là-bas? Des bricoleurs bien intentionnés y ont construits des balançoires en bois, pour leurs enfants !




Mais j’ai vu le Cap Horn. J’en suis heureux. Le pilote nous a fait virevolter au-dessus des phares. Mer calme ce jour-là, mais les roches, cependant, apparaissent frangées d’écume.
Paysage de Bout-du-Monde. Îles et lagunes, labyrinthes de bras et de canaux, roches, arbres morts. Paysage de Fin du Monde !
En vain j’ai cherché les baleines espérées. Je n’ai aperçu, au loin, qu’un seul navire, non identifiable. Double sillage blanc parmi les roches.
Plus loin, plus au sud, il ne reste que l’Antarctique. Mais ... Cela va vous décevoir peut-être ... Il faut se rendre à l’évidence ... Le Cap Horn n’est pas un Cap ! Juste un rocher, comme un ongle dressé, une griffe. Une île, une petite île.
Un phare et une maison pour les gardiens. On y aperçoit aussi un monument commémoratif ... Inévitable ! On l’attendait !
-”Le Cap Horn, j’y suis allé !”
C’est bête, hein ? Je suis allé au Bout du Monde !





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