Embarquement sur le ‘ Terra
Australis ...
Amusante, la faune qui peuple ce
bateau : Hormis un couple de jeunes mariés, les passagers appartiennent plutôt
à la catégorie des “carte vermeille”. Sympathiques, tous ... Une centaine de
passagers. Une dizaine de nationalités. Comme par hasard, les Français se sont
retrouvés tous à la même table, dans la salle à manger. Ils sont sept, avec
moi, venant de Rio, du Venezuela, de Suisse, de paris. Moi, je viens de Tahiti.
J’ai sympathisé avec un couple :
lui est Breton, elle est Israélienne de souche Yéménite. Ils parcourent le
monde à tarif réduit car l’homme a travaillé pour Air-France. Pour l’heure, ils
arrivent du Viêt-nam en passant par l’Argentine.
Un peu tendance à “tout savoir”,
lui, mais bah!
Amusante, la présentation de
l’équipage, dans le grand salon. Dispersion après le dîner, pour animer la
soirée dansante au salon supérieur.
Que ne faut-il pas faire quand on
est marin sur un bateau de croisière ! On doit même savoir danser la “danse des
pingouins ! Et peut-être même que certains s’y amusent, mais ... semaine après
semaine, et tout au long de l’année !
Au bar, les consommations sont
gratuites. L’ancien d’Air-France y soigne son “mal de gorge”. Forte posologie !
Il repart de bonne heure. Moi aussi, du reste.
La mer est très calme. À tribord,
(ça vous fait navigateur, ces mots-là !) À tribord, on voit très bien la côte.
( Attention aux mots ... aux
adjectifs surtout, parce que les paysages risquent de rester semblables à ceux
que l’on voit en ce moment, dans e genre minéral et spectaculaire ... Surtout
quand ils ont longtemps investis du mythe.)
Nous filons à bonne allure.
Quelques gros oiseaux. Pour le moment, c’est tout en ce qui concerne le règne
animal.
Toi qui commences cette croisière,
tu es venu pour la Merveille. D’autres sont là pour s’amuser, leur nuit sera
courte ! Ils dansent, et c’est bien ainsi. Mais la force du mythe ... On est au
Bout du Monde !
Un phare ... Deux ou trois lumières
dans la nuit. Mer calme. Ronronnement des moteurs, très doux. Cabine claire,
spacieuse. Au petit matin, découverte des montagnes, chutant droit dans la mer.
Crêtes enneigées par traînées, ou bien, par une échancrure, tout un versant
blanc qui vient à moi. Formes acérées. Quelques gros oiseaux se laissent
emporter par le courant du chenal. ici, Joshua Slocum a tiré des bords,
infiniment, ans réussir à passer. Joshua !
Falaises gercées. Des arbres à leur
pied. Aux pentes abruptes la végétation est rousse, comme un tissu de suédine.
Ciel couvert. Il va pleuvoir ? Couleur d’étain. Couleur de plomb.
Un glacier, plaqué sur la roche.
Bleu translucide dans les crevasses ... Beau ... Pourquoi “beau” ?
Splendide ! ( Le spectacle vaut
certainement mieux que cet adjectif, galvaudé, mais c’est celui-là qui est
venu. Allez donc en trouver un meilleur ! C’est splendide ! )
Je voudrais qu’Elle soit avec moi.
Comment dire ? On pense aux fjords de Norvège ( que je n’ai jamais vus qu’en
images ) des glaçons dérivent comme des cygnes, ( La grâce, la lenteur, le
silence, l’indifférence ...);
Des deux côtés du bateau, ( Allez,
vas-y : à “tribord” et à”babord” !) les falaises tombent à pic. Buissons,
arbres verts au raz de l’eau, arbres morts en grands échalas blancs, perches.
neige sur les hauts. Face à moi le glacier. Il tombe à pic lui-aussi. Su-perbe
! gercé, fracturé, large, majestueux ( Arrête ! Arrête ! )
La roche grise, râpeuse, dégouline
de cascades. Si je ne voyais que cet unique spectacle, le voyage en aurait valu
la peine déjà. Ciel couvert, toujours, mais il ne pleut pas. Nous avons de la
chance. La glace étincelle de lumière.
Mer verte, lisse. (mais est-ce
vraiment la mer ? )
Ocres rouges, en griffures
verticales ).
Passagers emmitouflés. Photos !
Nous sommes au glacier de Videla. demi-tour pour un débarquement au fond du
fjord Agostini, mais auparavant, exercice de sécurité , évacuation ... Frisson
d’émotion !
-”À vingt heures, ce soir, nous
passerons le canal “Ocasion”. Ce sera l’endroit le plus étroit, le plus
dangereux.
Rugissement. Oui, rugissement du
glacier, comme un coup de tonnerre qui se prolongerait. Rien n’a bougé. Que se
passe-t-il sous la croûte de l’impassible glacier ? Quelles forces en jeu ? ...
Impressionnant !
Mise à l’eau des canots
pneumatiques. Ceux qui le désirent vont aller faire quelques pas à terre, sur
une petite plage de sable noir, tout près du front du glacier. Hardis
aventuriers, dans leurs gilets de sauvetage couleur d’orange !
Vingt deux heures trente ... Canal
“Ocasion”. L’endroit est mal pavé ! Longue houle d’abord, et puis il faut
passer entre des îlots très proches les uns des autres. Balises à terre. Bouée.
Mais le feu que la carte indique n’est pas allumé. Pas de vie. Aucune. Qui
viendrait nous chercher là s’il nous arrivait quelque chose ? Cap au sud.
Demain, nous serons à Puerto-Williams, mille cinquante habitants ...
Le passager français qui vient de
Rio est un diplomate. Ambassadeur ? Consul ? C’est un homme posé. Posé pour
deux : sa femme est montée sur ressorts et débite comme une boîte à musique.
Elle est originaire de l’île de Ré, qu’elle appelle “l’île dorée”.
J’interroge cette terre, cette
roche. Mais elles ne me répondent pas. Îles, îlots, steppes, pics et glaciers,
pentes buissonneuses râpées ou arborées ... Bras de mer, défilés. Le ciel non
plus, vide et plombé, ne répond pas. Les chansons du passé, seules, témoignent.
Claquements de voiles grincements de guindeaux et de poulies , halètement des
treuils; coups de gueule des boscos ... Le vent, qui coupe. La pluie qui glace.
Le temps, infini ...
Dans mon village, en Oléron, au
fond du cimetière, on peut voit la tombe d’un commandant. Je l’ai connu. Un
ancien cap-hornier ! L’un des derniers ! Un albatros en bronze couvre la dalle
de ses ailes.
Croix de bois, aperçue au musée de
Punta Arenas, gravée au couteau d’une supplique priant les marins de passage de
bien vouloir assurer l’entretien de la croix, sur la tombe de ce capitaine “qui
mourut de désespérance” ...
Aujourd'hui la nuée se déchire.
Illumination de la neige sur les pentes. Plaintes des Fuégiens. Les Onas, les
Alakalufes, les Yaghans dont les tenanciers des estancias à moutons payaient
les paires d’oreilles, liées en chapelets ...
Plaintes et cris de ces peuples
disparus qui s’enduisaient de graisse, nus, pour résister au froid, errant de
baie en baie, chassant le phoque, pêchant les moules. Hommes, femmes et enfants
exterminés, tout, comme on tue les chèvres sauvages. O ! La barque d’écorce de
bouleau .. .Au Musée ... Vide !
Nous sommes entrés dans le canal de
Beagle. Mer calme, calme comme un lac. Toujours les falaises, couronnées de
neige et de glaces. Cascades , eaux d’un gris argenté. Flancs des montagnes
veloutés, d’un vert très sombre, griffé de roux.
Aujourd’hui, un autre petit paquebot
de croisière nous a doublés. Nous allons vers Ushuaia, attendant au petit salon
que vienne l’heure du petit-déjeuner.
O ! Mes chansons de marins !
Ce canal a, tout à la fois, la
splendeur des fjords de Norvège et celle de la baie d’Along. C’est par là que
sont passés autrefois les gueux affamés, les chercheurs d’or de la grande Ruée
californienne. Par là sont passés les découvreurs, mais aussi tous ces marins
des trois ou quatre-mâts qui emportaient dans leurs flancs et sur leurs ponts
tous les émigrants partis peupler l’Amérique de leurs rêves.
Nous ne verrons pas une baleine,
pas un phoque. Y e a-t-il encore ? Il n’y avait, ce matin, pas même un oiseau !
Un autre imaginaire se superpose au
mien.
-”Quand j’étais petite, me dit la
Canadienne, au moment où nous passons devant un glacier ( pourquoi nommé
Garibaldi ? ) Je rêvais aux contes de Grimm : à La “Fée des Glaces” !
Un oiseau ... Un oiseau s’incline
sur l’aile droite et frôle la surface de l’eau. Tout à l’heure il y avait un
petit voilier au mouillage, dans une crique. Joshua Slocum ou son esprit errant
!
Rêve parfait, mer bleue, enfin !
Soleil brillant qui couvre d’étincelles mouvantes les vagues, les nuages, les
sommets, les glaces et les neiges.
Sensation de glisser entre ciel et mer,
sur un tapis volant silencieux, à toute petite vitesse, entre les
montagnes-monstres.
Comment dire sans tomber encore
dans les clichés ? ... C’est beau ! Dieu que c’est beau !
*
- “J’ai bien entendu. Elle m’a dit
d’y aller ! J’irai.
J’ai hésité, bien sûr, à cause du
prix ... J’ai hésité, mais je L’ai entendue :
“Vas-y!”
J’ai pris une place dans le
twin-oter, à partir de Puerto-Williams, cet après-midi. Il fait si beau ! Nous
irons au Cap Horn.
-”Au Cap Horn ! Tu te rends compte
!”
Et si, disant que je l’entends me
pousser, je ne cherchais que des raisons ?
“Vas-y, te dis-je !”
Pour l’instant, le navire range
Ushuaia sur bâbord. Ushuaia ! Ville au nom magique, construite en amphithéâtre
aux flancs des monts. Eaux calmes de la baie bleue. Prairies. Nous reviendrons
...
La ville la plus australe du monde
? - Eh ! non, ce n’est pas Ushuaia, bien qu’elle y prétende. Elle est
Chilienne. Un millier d‘habitants. Maisons préfabriquées aux toits de métal
bleu. Tas de bûches pour l’hiver, fendues. Cinq ou six échoppes dans lesquelles
on vend ... Quoi ? ... Des femmes font la queue pour acheter des saucisses
nouvellement arrivées, pour le réveillon de Noël !
La moitié des habitations sont
occupées par des familles de marins de “l’Armada du Chili”. Un vieux rafiot
militaire appareille sous nos yeux. Salut à coups de corne. Envoi du drapeau
national. Autre rafiot le long du quai, datant des ancêtres d’Hérode ...
solidement tenu par quatre chaînes. Canons. troisième navire. Celui- là repose
sur fond de vase. A son côté un petit voilier français au mouillage, un ketch
gréé à l’ancienne.
Il faut ramasser un caillou au bord
du chemin, un caillou commun, dur, lisse,noir, luisant. Que pourrait-on ramener
d’autre, de Puerto Williams ?
Des enfants jouent au football sur
le terre-plein du monument “Au Fondateur” ... Le Général Bernardo O’Higgins.
Oh ! je sais, il y a encore une
agglomération, chilienne, encore plus au sud : Puerto-Toro ! Nous irons à
Puerto Toro, mais combien d’âmes, là-bas? Des bricoleurs bien intentionnés y
ont construits des balançoires en bois, pour leurs enfants !
Mais j’ai vu le Cap Horn. J’en suis
heureux. Le pilote nous a fait virevolter au-dessus des phares. Mer calme ce
jour-là, mais les roches, cependant, apparaissent frangées d’écume.
Paysage de Bout-du-Monde. Îles et
lagunes, labyrinthes de bras et de canaux, roches, arbres morts. Paysage de Fin
du Monde !
En vain j’ai cherché les baleines
espérées. Je n’ai aperçu, au loin, qu’un seul navire, non identifiable. Double
sillage blanc parmi les roches.
Plus loin, plus au sud, il ne reste
que l’Antarctique. Mais ... Cela va vous décevoir peut-être ... Il faut se
rendre à l’évidence ... Le Cap Horn n’est pas un Cap ! Juste un rocher, comme
un ongle dressé, une griffe. Une île, une petite île.
Un phare et une maison pour les
gardiens. On y aperçoit aussi un monument commémoratif ... Inévitable ! On
l’attendait !
-”Le Cap Horn, j’y suis allé !”
C’est bête, hein ? Je suis allé au
Bout du Monde !
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