lundi 7 janvier 2019

L'ARCHIPEL DES ÎLES GAMBIER ...





LES ÎLES GAMBIER



                L’ARCHIPEL DANS LA LUMIÈRE


















L’avion volait dans un bain de lumière. En bas, l’océan Pacifique étendait une soierie miroitante : infiniment, le voile bleu de la vierge Marie. Justement, en ce moment même, nous survolons un petit atoll tout rond : Ma carte, déployée sur mes genoux, lui donne un nom … C’est l’île Maria !










Le Twin-Otter a décollé de Tahiti au petit matin … Plus de neuf cents kilomètres parcourus jusqu’à l’atoll de Hao où nous nous sommes posés pour débarquer deux passagers. Deux nouveaux ont embarqué. Au fait, je ne sais plus très bien si c’est vraiment un Twin-Otter qui nous a emportés : C’était il y une trentaine d’année, vous savez ! Mais  qu’importe !








Entre Tahiti et Hao, nous n’avons aperçu qu’Anaa … Petite virgule dans le lointain, à l’extrémité du sari … Et dire qu’un cyclone, il n’y a pas si longtemps a tant gonflé l’océan que cette île a été entièrement submergée : Les habitants, pour se sauver, ont dû grimper dans les cocotiers !



 





Hao est porté sur ma carte sous le nom de l’île de la Harpe … Allez donc savoir pourquoi ! Je ne visiterai pas cet atoll cette fois-ci : La piste d’atterrissage a été construite sur un « motu », c’est-à-dire sur un ilot : Il faut embarquer dans un canot pour rejoindre l’atoll : Large anneau de corail d’un blanc éblouissant, cocotiers, installations militaires, drapeau français en haut d’un mât, long bâtiment destiné à abriter les habitants au cas où le vent amènerait des émanations mauvaises, venues de Mururoa …






 Derrière un bouquet d’arbres, on aperçoit les toits du village, regroupés autour d’une construction qui doit être une école … Sol blanc de corail mort : Fermer les yeux pour ne pas être aveuglé … Plages blanches … Buissons en bouquets … Cocotiers.





Lumière … Une passe étroite qui permet aux bateaux d’entrer dans le lagon : Ondes colorées de grenats, de topazes, malachites et de toutes les nuances du saphir 







Maria nous est apparue comme un petit, tout petit anneau qu’on aurait lancé là. C’est en fait un petit atoll dans le lagon duquel flottent trois ou quatre îles inhabitées … Je sais qu’il a été découvert par les marins d’un baleinier, en 1824 … Maria était le nom de leur bateau. En fait, les navigateurs polynésiens l’avaient découvert depuis longtemps. Ils l’avaient nommée Nurutotu et je ne vois pas très bien pourquoi on a cru bon de changer son nom ! Se souvient-on qu’un bagne fut installé là ?







Le ronron des moteurs est si régulier, l’air est si pur et si calme … Nous baignons dans une telle lumière ! … Temps suspendu ! … Ukulélé, tambours, guitares, le parfum du tiaré … Il n’y a qu’à  laisser aller  ses rêves …








Et puis voici L’archipel des îles Gambier : Le récif entoure un vaste lagon … Plusieurs îles y flottent, l’une plus haute et plus vaste que les autres : Mangareva !




Tiens, celle-ci a conservé son nom polynésien ? – On lui devait bien cela !






Il me souvient … Je l’ai lu quelque part, que ces îles ont été peuplées aux alentours de l’an mille de notre ère par des gens qui venaient des rives de l’Asie du Sud-Est …








 Ils venaient après avoir traversé l’immensité à la voile et à la pagaie, sur leurs pirogues doubles … Combien de temps avaient-ils  navigué d’île en île ? Quelles îles avaient-ils abordé ? Ils apportaient la noix de coco, le fruit et, sans doute, le plant de l’arbre à pain … Sans doute apportaient-ils aussi le taro et la patate douce … Ils venaient avec leurs épouses et leurs enfants … Chassés par qui, par quoi ? - Longues errances  conservant encore la plupart de leurs mystères !







Ici aussi, la piste d’atterrissage ne se trouve pas sur l’île principale … Nous avons dû nous poser à Totogégie, l’île qui se trouve le plus au Nord dans le lagon …  Ensuite, nous avons dû sauter dans une barque ou une baleinière.  Je ne me souviens plus très bien … Par contre, je me souviens parfaitement que nous avons frôlé une autre île montagneuse, sur laquelle  on voyait des bâtiments, mais qui était inhabitée depuis longtemps, me disait-on … Elle était frangée de cocotiers.













Je n’ai aucun souvenir de notre accostage sur Mangareva, juste en face de Rikitéa, la « capitale ».  Sans doute, puisque j’étais en mission officielle, les autorités locales avaient-elles rassemblé un comité d’accueil : Colliers de fleurs de frangipaniers et guitares …









Ce dont je me souviens parfaitement, c’est de ma surprise : Les quelques constructions que je pouvais apercevoir autour de moi m’auraient laissé pensé que j’étais arrivé à Brouage ou dans quelque autre cité fortifiée par Vauban au temps de Louis Treize ou Louis XIV ! – Qu’est-ce à dire ? – J’avais devant moi une tour construite, apparemment en pierres de taille de la plus belle sorte, et une autre petite bâtisse qui avait tout d’une échauguette …
Devant mon étonnement, l’instituteur, qui avait fait partie du comité d’accueil, me parla du Père Laval … Je devais en entendre parler tout au long de ma visite, qui dura quelques jours.

















  C’est en 1833 que le Père Honoré Laval arrive aux Gambier. Il a voyagé en diligence jusqu’à Bordeaux, en passant par Tours et Poitiers. Il est en compagnie des Pères François d’Assise, Carel et Chrysostome Liausu et du Frère Comban Murphy. Ils embarquent sur la goélette « Sylphide », le 22 Janvier 1834.
















Le Père Liausu restera à Valparaiso. Les trois autres missionnaires reprendront la mer vers l’archipel des Gambier à bord de la goélette péruvienne « La Péruviana ». Le 7 août 1834, ils arrivent à Akamaru, aux îles Gambier. Il faut croire qu’ils y furent bien accueillis et je saurai bientôt pourquoi …

















On m’avait logé à la case de passage, en bordure du lagon. Il faisait un temps très lourd et très chaud : Un orage montait. Je laissai la porte ouverte car il n’y avait pas de fenêtre. La nuit tomba très vite et très tôt, comme toujours sous les tropiques. Les éclairs zébraient l’obscurité et aucune étoile n’était  visible. Un groupe électrogène ronronnait au cœur du village. Une ampoule qui pendait au plafond me procurait un peu de lumière jaunâtre – Je savais que le groupe électrogène allait s’éteindre de bonne heure : Le carburant était précieux et la goélette de Papeete ne venait qu’une fois par mois.  J’eus le temps de dénicher, dans le placard, une liasse de papiers et d’en parcourir le contenu : Savez-vous bien ce que peut être un « Chef de Baie » ? L’un de mes papiers parlait des « Chefs de Baie » !














 Je n’eus pas le temps d’élucider la question : Le vent s’était levé d’un seul coup et … D’un seul coup, la porte de ma case avait claqué : C’était une porte vitrée. Elle avait claqué tellement fort que la vitre avait volé en éclats … Au même moment, la lumière s’était éteinte.
















  J’en ai tellement de remords que je ne l’ai jamais oublié : Il faudra aux responsables de Rikitéa commander une vitre de remplacement à Papeete. Elle n’arrivera que dans un mois, au minimum. La collectivité la paiera … J’eus du mal à m’endormir. J’espérais dénicher un balai le lendemain matin pour, au moins, ramasser les morceaux de verre.
















  Le lendemain matin, je présentai mes excuses, avec le concours de l’instituteur. On fut aimable et compréhensif.
















  Mais les « Chefs de Baie » ?

  L’instituteur était un « popaa », c’est-à-dire un Français venu de métropole. Il était jeune, avait choisi de devenir Volontaire de l’Aide Technique » (On disait « Vat », pour raccourcir) … C’est- à-dire qu’il enseignait à Mangareva  pour une durée équivalente à celle du service militaire qu’il n’avait point rêvé d’effectuer. Il avait épousé une jeune vahiné, la fille du Chef : C’est souvent ce qui se passe quand un jeune homme est affecté, tout seul, sur une île perdue … Les Vahinés sont gracieuses, jolies et entreprenantes !





 







 Je parle de l’instituteur parce que ce fut lui qui me fit visiter Rikitea.
  Nous allâmes d’abord au pied de la tour que j’avais aperçue, près du quai de débarquement. Elle était haute de cinq ou six mètres au moins, impeccablement construite en pierres de taille : Sciées dans le récif extérieur du lagon, les pierres avaient été ensuite transportées sur des radeaux et acheminées vers les chantiers de construction …. Chez moi, dans l’île d’Oléron, lorsque Louis XIII et Vauban firent construire une citadelle pour protéger les accès au port de Rochefort, on mobilisa tous les ouvriers que l’on avait pu trouver, toutes les charrettes et tous les chevaux, venus d’aussi loin que Poitiers !















 À Mangareva, on mobilisa tous les Chrétiens de l’archipel, (Il n’y avait plus que cela, les bons pères étant parvenus à évangéliser tout le monde et à convaincre chacun que le travail assurait la sauvegarde de son âme).













 J’allais découvrir, là, dans le village, bien des édifices dont la taille et le style auraient pu laisser penser que Monsieur de la Galissonnière, Monsieur Bégon et Monsieur de Vauban, après avoir achevé la construction des forteresses de l’Atlantique, étaient venus aux Gambier et y avaient poursuivi leur œuvre …

















 Non loin de la tour, on me montra la prison … Car il y avait une prison ! Tant elle était pleine qu’il fallut un jour envoyer de Tahiti un vaisseau de guerre pour intimer aux bons pères l’ordre de libérer les prisonniers !


















 Qu’avaient-ils donc fait pour mériter la prison ? – C’était « L’œuvre de chair » que l’on punissait ainsi ! … Avant l’arrivée des missionnaires, les Polynésiens vivaient nus, dormaient beaucoup et, paraît-il … forniquaient beaucoup !

















  Et voilà l’explication de l’institution des « Chefs de Baie » ! … Ces derniers étaient tout simplement des agents d’une police chargée de veiller à ce que, la nuit, les « Tané » et les « Vahiné » ne se promènent pas d’une maison à l’autre … On les avait équipés chacun d’un fanal et d’un bâton.





















 On m’a raconté … Mais je vous le raconte comme on me l’a dit … On m’a raconté que le fornicateur était mis en prison puis, en cas de récidive, on proclamait en sonnant de la conque du haut du perron de la cathédrale son bannissement : Il était exclu de la société des Gambier : Personne ne le recevait plus, ni même ne lui adressait la parole … On m’a raconté que le bannissement pouvait conduire à l’exil …





















 Quel exil, alors que Mangareva se trouve en plein océan et que les îles les plus proches sont Pitcairn et l’Île de Pâques !

  Eh bien il semble que l’on ne se préoccupait guère : Le banni était placé sur un radeau et conduit hors de la passe : « Vogue la galère, et ne pêchez plus, mon fils ! »

















 Ces histoires me font immanquablement penser à celle que raconte Joseph Conrad dans son roman : « Au Cœur des Ténèbres ». : L’histoire de quelqu’un qui aimait tellement les Africains qu’il leur coupait la tête lorsqu’il estimait qu’ils ne partageaient pas les mêmes valeurs que les siennes … Il posait leurs têtes coupées sur les poteaux de clôture  afin d’impressionner ceux qui auraient été tentés de  suivre leur exemple !


















Il y avait encore un prêtre européen à Mangareva quand j’y passai. Il était absent lors de mon séjour … Ce qui me permit d’acheter une perle pour mon épouse : Tout ce qui entrait et tout ce qui sortait de l’archipel devait passer par les mains du prêtre, gérant de la coopérative … On comprendra que c’était  là le moyen de protéger les pêcheurs des aigrefins qui eussent voulu les gruger.























Et voilà l’explication des tours, des échauguettes, des observatoires de guet … Et voilà l’explication des fortifications : Dès qu’une voile était signalée à l’horizon, toute la communauté était en alerte … On commençait par rassembler toutes les femmes et toutes les jeunes filles et on les mettait à l’abri en les faisant monter plus haut dans la montagne : On savait ce qu’il advenait lors du passage des marins au long cours, quelle que soit leur nationalité. Quant aux hommes, on les encadrait, mais on savait bien qu’il n’y avait pas de femmes, à bord des navires ! !
En ce temps-là,  il n’y avait pas de perles de culture, rien que des perles fines, sauvages, et des huîtres nacrières … Il paraît que la plus grande partie des nacres et des perles partait à Rome … Du moins c’est ce que l’on m’a dit. De nos jours, des fermes ostréicoles ont été installées un peu partout et l’on produit des perles noires de culture, très recherchées.
Mais mon guide, m’ayant fait passer devant la prison, puis devant le presbytère, dont les bâtiments n’auraient pas fait injure à ceux de l’amirauté de Rochefort, nous nous trouvions au bas du porche de la cathédrale … Car les bons pères ont fait construire une cathédrale, une vraie, avec un large porche, deux tours comme à Notre Dame de Paris, une nef longue d’une cinquantaine de mètres … Toute en pierres de taille amenées l’une après l’autre de l’extrémité du récif où on les avait découpées, dressées, hissées, jointées … Une cathédrale à Rikitéa ! On m’a montré les livres que les pères avaient utilisés pour s’instruire dans le domaine de l’architecture et celui de la maçonnerie .

















« Nos insulaires se levaient autrefois vers trois heures du matin ; ils mangeaient, se promenaient au frais jusqu’à onze heures et se remettaient à dormir jusqu’à quatre heures du soir ; ils se levaient alors pour dîner et passaient la soirée à courir ça et là, jusqu’à minuit pourvu que le clair de lune succédât immédiatement au jour. Lorsque cela n’avait pas lieu, ils dormaient de nouveau, après avoir dîné, jusqu’au lever de la lune … C’était une vie purement animale … »

















C’est en Janvier 1836 que le Père Laval écrivait ces lignes. Il est évident que l’oisiveté est la mère de tous les vices … Pour sauver leurs âmes les Mangaréviens devaient travailler … Les protections contre les contacts avec les étrangers ne suffiraient pas. C’est sans doute à ce moment-là que l’on institua le corps des « Chefs de Baie » !



















Ah ! Ils n’allaient pas chômer, les Mangaréviens ! – Dans un premier temps, les Pères évangélisent, soignent, apprennent la langue vernaculaire, composent des cantiques, écrivent une grammaire mangarévienne, traduisent les prières … Au bout de quelques mois, les Mangaréviens détruisent leurs idoles pour mieux manifester leur attachement au Christ. Et c’est bien d’un véritable attachement qu’il s’agit : L’extrème dévouement, la compassion, la piété des Pères ne sauraient être mis en doute … Pas plus que les bonnes intentions. Les Pères sont des hommes de foi et c’est une théocratie qu’ils instaurent ici.














La première église est construite à Aukéna. Elle est dédiée à Saint Raphaël archange. Elle est en bois. Les constructions en dur se réalisent après, notamment grâce au frère Gilbert Soulié, venu rejoindre la mission en mai 1835.


















Dans la cathédrale, on installe des statues de plâtre du plus magnifique style Saint Sulpicien, comme dans la plupart de nos églises des campagnes de France ! On pose des vitraux et des tableaux … Tiens ! – À propos de tableaux, on m’en a montré un qui explique pourquoi les premiers missionnaires ont été reçus à bras ouverts : Ce tableau illustre une légende très ancienne … En fait, les Mangaréviens attendaient – « De grands bateaux qui devaient amener des hommes blancs porteurs de grands bienfaits » - On les accueillit donc avec faveur.



















Ahuri par les dimensions de la cathédrale et par son imposant aspect, je contemple les rangées de bancs de bois, les voûtes, la chaire de bois sculpté, en tout point semblable à celles de nos églises, je m’avance vers l’autel. Je suis seul. Je me penche sur l’autel pour voir le tabernacle : Porte en bois précieux, ornée de nacres et de perles fines … Je crois que j’ai compté quatre grosses perles, incrustées dans le bois … Elles ne sont donc pas toutes parties à Rome !

Revenons à la lettre du Père Laval, datée de 1836, dont, un peu plus haut, nous avons commencé à donner un aperçu … Nous l’avons trouvée dans les archives de la congrégation de Picpus :
















« Aujourd’hui ils se lèvent au point du jour, récitent leurs prières, prennent leur popoï (Pâte du fruit de l’arbre à pain, fermentée ), assistent à la messe et à l’instruction, et se mettent au travail. La femme, aidée de ses enfants, fabrique de la tappe (Le « tapa », tissus végétal, obtenu à partir de l’écorce d’un arbre : Le « burau » ), pour les habits ; le mari fait des plantations , prépare le « tioho », va à la pêche, ou bien encore toute la famille se réunit pour sarcler l’herbe qui croît au pied des arbres à pain. »













L’oisiveté est vaincue et donc les âmes sont sauvées !













Sortant de la cathédrale, dédiée à Saint Michel Archange, pas moins ! je repasse devant le presbytère et j’enfile un petit sentier étroit que les herbes commencent à envahir : Il n’y a plus guère d’habitants à Mangareva … Il faudra attendre l’établissement des fermes ostréïcoles pour que la population augmente à nouveau.













Le sentier monte vers le mont Duff, ainsi nommé en souvenir d’un bateau européen qui passa par là … Il culmine tout de même à quatre cent quarante et un mètres, le Mont Duff ! … Rapidement on atteint une sorte de plateau, maintenant envahi par la végétation. La vue sur l’océan est magnifique : Elle s’étend jusqu’au bout du monde, semble-t-il. De ci de là, on distingue des édifices en pierres taillées. La plupart d’entre eux sont à demi écroulés. Certains sont encore debout, mais leurs toitures ont disparu … Là encore, on jurerait que Monsieur de Vauban a dirigé les chantiers de construction !














Je viens de réaliser que le sentier qui m’a mené jusque là est dallé d’un bout à l’autre : Larges pierres venues elles aussi, du récif et portées jusque là, puis ajustées … La végétation a poussé et les dalles sont un peu disjointes.


Mais il est probable que certains commençaient à s’inquiéter de ce nouveau style de vie : On m’a raconté qu’un vaisseau venant à passer aux abords de l’île de Pâques, Rapa Nui … Tous les habitants de cette île s’enfuirent au plus vite et le plus loin possible : Ils avaient peur que les missionnaires débarquent chez eux et les conduisent au même régime que leurs lointains cousins de Mangareva ! … Peut-être craignaient-ils aussi qu’on ne les capture pour les faire travailler à Mangareva ?…

















En tout cas, des bruits avaient dû parvenir jusqu’à Papeete, les autorités commençaient à s’inquiéter ..



                 


Me voilà devant un monument incongru sur une île du Pacifique : Un arc de triomphe ! – Il est intact et l’on songerait à une copie conforme de la « Porte du Soleil », par laquelle on pénètre dans l’arsenal de Louis XIV, à Rochefort ! – C’est la porte d’entrée par laquelle on entre dans l’enclos du couvent de Rouru …





L’enceinte de murs est pratiquement écroulée sur toute sa longueur, mais la porte monumentale est restée. Les bâtiments du couvent n’ont plus de toits, mais ils se dressent encore et conservent toute leur majesté, bien que des arbres poussent leurs fûts ça et là. Des arbres, mais aussi des fleurs : Bougainvillées, hibiscus, frangipaniers … Le bâtiment principal, celui qui abritait les ateliers des sœurs et la chapelle s’étend sur 24 mètres de long. Au premier étage étaient les dortoirs. On trouve un puits, une fosse à « Poï-poï », c’est là que l’on conservait la pâte issue du fruit de l’arbre à pain.













D’autres bâtiments, plus petits ... On me répète que les femmes et les filles, dès qu’une voile apparaissait à l’horizon, étaient rassemblées et conduites au couvent pour les soustraire aux possibles dangers d’une rencontre avec des marins étrangers …Les Pères étaient si heureux et si fiers du respect de la décence !




















«  On ne voit plus de nudités parmi eux : Tout le monde se couvre avec soin. S’il arrive que quelques-uns s’oublient encore – l’habitude étant devenue chez eux une seconde nature – à peine nous aperçoivent-ils qu’ils courent à leurs vêtements, comme le soldat court à son arme à la vue d’un officier. Nos exemples et nos conseils les ont tout doucement amenés à l’amour de l’agriculture … »






                            









 J’ai flâné entre les ruines, j’ai songé devant une croix gravée sur une pierre, j’ai pensé au temps qui s’enfuit … J’ai repris le sentier et je suis arrivé au cimetière : Les tombes étaient envahies par de hautes herbes … De là, on dominait l’océan …


J’ai cherché les traces des cultures dont les Pères avaient fait la promotion :

















- « … Dans un enclos voisin de notre case, nous essayons d’acclimater les plantes les plus utiles de nos pays d’Europe : le lin, la pomme de terre, les choux, les haricots, les pois, les oignons, les radis, les navets, etc … »


Rien … Je n’ai rien vu qui conserve les traces de cette horticulture : De nos jours, les denrées alimentaires sont presque toutes apportées de Papeete par les goélettes. Sans doute, tout de même a-t-on conservé quelques cultures de tarots, d’ignames et de patate douce … Je n’en suis pas très certain … Mais il y a les fruits !



















Entre le mont Duff et le sommet voisin, il y a un sentier étroit : Il est dallé lui aussi … Je suis monté tout en haut pour apercevoir l’Océan des deux côtés … Dieu, que l’île est petite ! … Un avion se dirigeait vers les Gambier. Sa trajectoire baissait. Il se préparait à atterrir.


















Les autorités de Tahiti s’inquiétaient : Ne racontait-on pas que les missionnaires établissaient sur les Gambier un véritable régime despotique ? – On envoya un navire de guerre, commandé par Dumont d’Urville … J’ai dit plus haut que ce fut l’occasion de vider les prisons de Rikitéa. J’ajouterai que, semble-t-il, le célèbre navigateur délivra des louanges à l’action des missionnaires.









Pour faire la part des choses, il faut prendre en compte les ragots et les rancoeurs : Les commerçants venus de l’extérieur ne pouvaient  plus faire leurs affaires comme ils l’entendaient lorsqu’ils étaient de passage. Peut-être aussi quelques Mangaréviens de passage à Tahiti s’étaient-ils plaints de la rigueur des missionnaires : L’une des notions fondamentales de l’esprit polynésien est le « Fiu » … On est « fiu » lorsqu’on n’a pas envie de travailler … Et cela arrive souvent ! Certains, sans doute pouvaient regretter les coutumes anciennes :


« Nos insulaires se levaient autrefois vers trois heures du matin ; ils mangeaient, se promenaient au frais jusqu’à onze heures et se remettaient à dormir jusqu’à quatre heures du soir ; ils se levaient alors pour dîner et passaient la soirée à courir ça et là, jusqu’à minuit pourvu que le clair de lune succédât immédiatement au jour. Lorsque cela n’avait pas lieu, ils dormaient de nouveau, après avoir dîné, jusqu’au lever de la lune … »






On lit, dans les archives de la congrégation de Picpus les lignes suivantes :












« En Juin 1857, le Roi Maputeoa meurt. Une période difficile commence.

 Les jeunes de l’archipel partent. Les îles se dépeuplent petit à petit (maladies). Des bateaux de négriers apparaissent à partir de 1862 et la nacre attire les commerçants.

Pour beaucoup, Laval est vu comme le chef de ce petit royaume. A la fois « Consul » et missionnaire, censeur et conseiller, maître et juge de paix, presque tout passe par lui, il est celui qui instaure « une théocratie missionnaire » basée sur le lien affectif. Il est sévère pour ses fidèles et règle ses affaires d’une main ferme.

Il protège la foi et la morale des Mangaréviens contre les maux apportés par l’occident (alcool, argent …) et contre les manoeuvres intéressées et trop faciles par lesquelles les fonctionnaires coloniaux, les marchands et les aventuriers cherchent à tirer profit du peuple mangarévien. »

Paris s’inquiète et charge le Commandant de la Motte Rouge de faire une enquête et un rapport …
Ce dernier rapport énonce ses conclusions :



]«  Après tout ce que j’ai dit du Père Laval, il est bien évident qu’à mes yeux, il est nécessaire de lui faire quitter ce pays, et le plus tôt sera le mieux. Esprit dominant, caractère emporté, dévoué sincèrement à la religion, qu’il confond un peu avec son Ordre et avec ses propres idées du monde depuis trente-cinq ans et entraîné par des idées religieuses exagérées, cet homme veut, à tout prix « sauver des âmes », et pour cela tous les moyens sont bons … »
















Curieusement, je ne conserve plus de souvenirs de mon départ des Gambier. Je crois que j’en suis reparti en avion, tout comme j’avais dû y venir … Je ne suis très sûr ni des moyens de mon départ, ni de ceux de mon arrivée … Étrange, non ? Je ne me souviens pas, non plus de danses, qui sont pourtant traditionnelles en Polynésie, ni même de musique ou de chants … Je me souviens de bâtiments en ruine, de sentiers dallés, de tombes envahies par les herbes sauvages, d’une cathédrale incongrue, d’un instituteur européen dont j’appris, quelques temps plus tard, le suicide …


Je me souviens d’une présence qui flottait dans l’air et sur les eaux, une présence qui m’a hanté très longtemps … Une présence qui ne m’a pas quitté. Le héros de Joseph Conrad s’appelait Kurtz … Autre temps, autres lieux … «  Laval … Le Père Laval ! »



Peut-être un jour, au moment où j’appuierai sur le bouton de la télécommande … Peut-être que les images de la télévision me ramèneront là-bas : Chacun pourra entrer dans la passe, contourner les îles inhabitées, entrer dans la baie de Rikitéa … Maintenant, je sais qu’il y a là-bas une quantité de fermes perlières … La population de Mangaréva a augmenté … Quelqu’un, au milieu des murs éboulés fait-il encore ressurgir le souvenir ?


«  Monseigneur, pour apaiser cette tempête m’écrivit au mois de mars 1871 de me rendre à Tahiti, où je continuerais d’être son provicaire tout le temps que j’y resterais. Mais que je m’y suis dûment ennuyé ! Est-ce donc là ma récompense de trente-six ans de mission ? »

                                    Honoré Laval.
                                            
                                             ****
                                                *
On se doit d’ajouter un autre extrait de ses lettres : - « Je voudrais que tous ceux qui accusent la religion de tyrannie fussent témoins de ce qui se passe ici. Ils comprendraient peut-être que le christianisme ne fait pas  des esclaves et que cette déférence de nos néophytes est l’effet naturel de l’amour filial, par lequel ils répondent à l’amour vraiment paternel que nous ressentons pour eux …(Janvier 1836).


                


… Un beau film à tourner pour un réalisateur de qualité … Nous pensons au film intitulé « Mission » et nous pensons au Paraguay …




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