LE CINQUIÈME JOUR
Dieu dit encore : " Que les eaux
grouillent d'une foule d'êtres vivants, et
que les
oiseaux s'envolent dans le ciel au-dessus de
la
terre ! " Dieu créa les grands monstres
marins et
toutes les espèces d'animaux qui se
faufilent et
grouillent dans l'eau, de même que toutes
les
espèces d'oiseaux.
Je n'étais pas encore là, mais j'ai dû
arriver presque aussitôt. Mon bateau filait
entre
deux îles passementées de velours vert. L'océan
était d'un bleu digne de teinter le manteau
de la
Vierge, avec des ornements d'émeraude et de
myosotis. Le ciel était sans nuage et le
soleil jetait
des
sequins par milliers dans la mer. A l'arrière,
nous traînions des lignes qui s'enfonçaient
obliquement dans l'eau. Il n'y avait pas de
vagues.
Le
calme le plus absolu régnait alentour.
_" Que tout ce qui vit dans l'eau se
multiplie et
peuple les mers; et que les oiseaux se
multiplient
sur la terre."
Il a dû se passer quelque chose comme
ça.
Le moment est inoubliable. Nous avions
pénétré dans un nuage d'oiseaux : Ces nuages
signalent la présence des poissons. Une
ligne de
traîne s'était prise dans l'hélice. Le
moteur s'était
tu. En quelques secondes nous nous trouvâmes
au sein d'une bouillonnante marmite.
Froissements d'ailes et de plumes en
tous sens par milliers, frôlements, gifles à
peine
évitées. Agitation d'éventails blancs,
blancs et
noirs, noirs, montant, descendant, en
piqués, en
flèches, en foules. Cris, cris agressifs,
cris de rage,
cris
avides, cris délirants.
Becs rouges, becs noirs, becs bleus, roses
ou
blancs, becs durs, acérés, pointus, crochus,
tranchants, poignards, dagues, crocs, grappins
et
crochets. Assaut de becs, de plumes, de
cris, de
pattes écailleuses, de griffes et d'ongles.
Quelques oiseaux, et non des plus petits se
prenant l'aile dans nos lignes et tournoyant
...
Au-dessus, très haut, d'autres oiseaux très
noirs
planant et décrivant des cercles..
Millions de flèches d'argent
jaillissant
de la surface de la mer, sautant,
bondissant,
rejaillissant, ricochant. Ardeur frénétique
essayant de mordre dans la vie, essayant
d'échapper à la mort.
Millions d'anchois ou de sardines comme
autant
d'escarboucles, d'étincelles, bleu métal,
argent,
vif-argent. Sous les anchois les grandes
ombres
vertes des grands thons pélagiques. Il y a
du
carnage en cet endroit, oiseaux et thons, les
uns
au-dessus des autres, puis mêlés les uns aux
autres, car les uns plongent tandis que
sautent les
autres. Ils sautent très haut les grands
poissons,
ardents, vifs, bondissants, se tournant sur
le flanc
puis
retournant à leur élément, se croisant,
croisant les oiseaux et les oiseaux les
croisant.
Dessous, encore plus profond que les thons,
passent les grands squales, torpilles
brunâtres ...
Et la mer se tinte de sang là où quelque
requin à
réussi à décapiter un thon. Ils pèsent bien
soixante à quatre - vingt kilos, les grands
thons,
et chaque squale sans doute, plus de cent
kilos.
Flèches, pluie de dards, lames, étincelles
de vie
frénétiques, jaillissements, bonds, cris de
désir,
cris d'angoisse, cris agressifs, nageoires,
queues,
ombres décrivant de larges orbes.
Cris frénétiques de frayeur et d'ardeur,
faim, faim
de
vie. Cela dura un instant puis tout disparut.
... " Le sixième jour,
Dieu créa les
animaux qui peuplent la terre. Le sixième
jour
encore, il créa les êtres humains à sa
propre
ressemblance; il les créa homme et
femme."
Après un tel spectacle, il faut
un très
long moment pour retrouver ses esprits,
redescendre sur la terre. Il faut longtemps aussi
pour redescendre sur le banc de son bateau.
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