MUSIQUE DE L'EAU
Baigner dans un océan de Champagne, descendre,
descendre ... Des bulles par millions,
légères,
transparentes, irisées, pressées ... Qui
montent, qui
montent. Des bulles qui dansent, qui
picotent, caressent,
frôlent, qui enivrent et laissent entrevoir
un ailleurs, des
merveilles !
Palmes ! L'abîme bleu noir. Des ombres qui
nagent. L'abîme de plus en plus bleu, de
plus en plus noir.
Cascades de rochers baroques, failles,
grottes, coupoles,
flèches, gargouilles, cathédrales ! Des
fleurs s'épanouissent
aux
arcs-boutants et aux arches : Fleurs rouges, fleurs
roses, bleues ... Fleurs en corolles, fleurs
en plumeaux, en
houppes, en corbeilles, en massifs, en
escarboucles,
étoilées, filigranées, niellées, chinées ...
Fleurs vivantes qui
s'allument et s'éteignent.
Descendre, descendre encore, dans
l'allégresse
des
bulles qui montent. Musique. Musique de violoncelles
et de violons. Champagne et concertos,
architectures,
jardins et vie baroques : Les concertos
Brandebourgeois ...
Au creux de la faille le long de laquelle on
glisse, guirlandes
de
petits poissons bleus, de petits poissons rayés de rouge
et de vert ... S'enroulent et se déroulent,
épanouissements
et
brusques contractions, s'allument et puis s'éteignent ...
Il m'en souvient bien, je retrouverais
l'endroit ... Un mérou
était
là, auquel je rendais visite souvent. Ce jour-là, comme
je
mettais le nez à sa porte, il rentrait chez lui, revenant de
je ne
sais où. Un mérou majestueux. Y en a-t-il encore
beaucoup comme celui-ci ? ... Brun, marbré
de beige, lèvre
charnue, impassibilité de l'oeil, dignité,
dédain,
condescendance sans doute. Ce mérou devait
bien peser
trois cents kilos, mais la majesté
s'évaluerait-elle au poids ?
Les
ouïes battaient lentement, au tempo de la musique. La
queue avait de lents mouvements ... Un roi,
un empereur,
un héros, un demi-dieu ?
Un soir d'hiver où la rue
était très sombre, à
Paris, dans le Quartier Latin ... Quelles
errances nous
avaient poussés jusque-là ? Rue baignée par
les flots des
Concertos Brandebourgeois ...
Le porche franchi, de Saint
Julien-le-Pauvre,
allégresse
! ... Ivresse, très doux courants se faisant
impétueux soudain, très enveloppants.
Éclosions de
corolles et d'éventails, déroulements de
draperies,
enroulements de crosses. La musique qui se
replie et se
contracte, se développe et puis s'enveloppe.
Océan et
musique vous baignent, vous prennent et vous
entraînent.
Aux
parois demeurées dans les ténèbres brûlent
lumignons et chandelles, luisent des icônes
et des ors ...
Tiares ! _ Saint Julien-le-Pauvre : église
orthodoxe aux
voûtes romanes, piliers torses aux nervures
palmées.
Comment étions-nous
arrivés jusque là ?
_ À vrai-dire nous ne le savions guère et
même nous le
demandions nous ?
Pourquoi mêler cette
histoire aux gerbes
nées
de la vague au flanc d'un récif ?
_ Se laisser prendre, chercher l'harmonie,
harmonie des
violons et violoncelles, des icônes, des
rouges, des ors ...
Oubli
de soi et, tout à la fois extension de l'âme, jusqu'aux
confins du divin ! En nous l'allégresse
montant ... Bach,
mais aussi bien Mozart ...
Océan et musique, jamais l'un sans l'autre.
C'est toujours
extase, en quelque sorte prière,
accomplissement,
exhaussement et accord. Là se découvrent
l'Éternel et
l'évidence.
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