dimanche 6 janvier 2019

MAKATEA ... L'ÎLE SACRIFIÉE.




 Makatea












 










                 C’était, je crois, en 1969. Je naviguais dans

 les archipels   des Tuamotu.









                 Pour cette tournée, j’avais embarqué  sur un

 dragueur de mines de la Marine Nationale. Ce petit

 bâtiment s’appelait « La Paimpolaise ». Coque en

bois, peint en gris, il avait été construit au Canada et

faisait partie du même lot que ceux que j’avais connus

 aux Nouvelles-Hébrides et en Nouvelle-Calédonie :

La « Dunkerquoise », la « Lorientaise » ... Bâtiments

fiables mais dont la hauteur sur l’eau amplifiait le

roulis et le tangage !










Nous étions partis pour Manihi, un atoll situé sur la

 route des Marquises, mais nous avions dû faire

demi-tour et mettre le cap sur Papeete : En fait, nous

 avons mis en fuite devant un cyclone auquel nous

 tentions d’échapper. La mer était grosse quand le

 soleil se leva, d’un seul coup. La radio était

 rassurante : Nous étions sortis de la trajectoire de la

 tempête … Le Lieutenant de Vaisseau qui

 commandait le bâtiment décida de faire route vers

 Makatea.




















Allez donc comprendre quelque chose aux caprices

 des océans ! Tout d’un coup, les vagues s’étaient

 calmées. Nous naviguions maintenant sur une mer

 d’huile. Le ciel s’était dégagé comme par miracle.

Il était juste un peu plus délavé que les flots. Au loin,

 vers l’Ouest, un point noir, comme un gros oiseau

 posé.





















                                      « Makatea ! », me dit le Commandant.



    Pour moi, ce nom évoquait des aventures du siècle

 dernier : Joseph Conrad nous parle des « îles à

guano » … Des îles qui ont fait la fortune  de ceux qui

les ont exploitées …






















Makatea est une île comme il en existe peu dans les

 océans … En existe-t-il même une seule qui lui serait

 semblable ? C’était un atoll, comme tous les atolls de

 l’archipel des Tuamotu, dont elle fait partie. Elle se

 situe à peu près à mi-chemin entre Tahiti et

 Rangiroa, atoll au lagon immense. Mais Makatea n’a

 plus de lagon : C’est maintenant une île qui a été

 soulevée et qui se présente comme une table

 exhaussée, avec ses falaises de quatre-vingts mètres

 de haut …

















Forces immenses, jeu de géants, jeu des dieux ou des

 démons : On suppose que l’atoll de Makatea a été

 soulevé lorsque les volcans de Tahiti ont émergé …

 Leur poids aurait fait mouvoir les fonds abyssaux et

 ce gonflement aurait exhaussé Makatea d’un seul

 bloc, récifs, roches et lagon tout à la fois. Le lagon,

 bien sûr, se serait asséché : Il était comblé par les

 sédiments organiques. Là était l’or que les

 découvreurs n’avaient plus qu’à ramasser à la pelle et

 à transporter à la brouette pour l’exporter vers les

 pays dont l’agriculture était en pleine explosion : Le

 Phosphate !




















On attribue la découverte du phosphate de Makatea

 au Capitaine Bonnet, aux alentours de mille huit cent

 soixante. Dès mille huit cent neuf, l’exploitation était

 confiée à la Compagnie Française des Phosphates

 d’Océanie. À partir de là naît une histoire !




















Nous étions presque arrivés. Les falaises se

 dressaient, hautes, rébarbatives, creusées de grottes.

 Dans une échancrure du terrain  apparaissaient

 quelques toits de tôles rouillées : Il y a eu là une ville

 de quelque trois mille habitants ! Une sorte de

 diplodocus de fer tendait le cou vers le large : Un cou

 de cent mètres de long, que l’on devinait repliable …

 Un convoyeur à tapis roulant.





















Sous cette structure antédiluvienne et par deux cents

 mètres de fond flottaient deux ou trois bouées

 énormes, jaunes : C’étaient celles auxquelles venaient

 s’amarrer les cargos pour charger le phosphate

 amené jusque-là par le tapis roulant. Toutes ces

 installations étaient immobilisées depuis l’année

 mille neuf cent soixante-six … La ville était

 abandonnée, les ateliers évacués. Il ne restait plus,

 sur l’île, que deux ou trois personnes … Dix, tout au

 plus ! Nous n’en rencontrâmes que trois.





















Pas de port, pas de quai : On débarquait de la

 chaloupe au pied d’un escalier, juste à côté d’un

 monte-charge.




















Vous avez déjà vu du corail ? – Agglomérats de

 branches de calcaire, blocs vermiculaires ou en forme

 de champignons, cavités aux rebords acérés …



                  






 Lorsque l’exploitation avait commencé, le sol, paraît-

il, était plat, les cavités remplie par le sable phosphaté

 … Mais on avait vidé les creux à grands coups de

 pelle, posé des rails, un train circulait un peu partout

 et l’on en avait chargé les wagons. Lors de notre

 visite, les wagons étaient toujours là, vides et rouillés

 … Les locomotives étaient toujours là : Les cuves de

 fuel étaient pleines encore et l’on nous fit l’honneur

 d’un court trajet en chemin de fer !
















L’île est un plateau dont la longueur maximale est de

 sept kilomètres et demie, sa plus grande largeur étant

 de quatre kilomètres.






Horreur d’une île sacrifiée, inhabitable ! …






 Volets battant aux vents, portes ouvertes, béantes,

 sols défoncés, trous multiples, planches jetées en

manière de passerelles …



















Bâtiments publics à l’abandon : Église, temples,

 échoppes et magasins, hôpital, écoles, bars, ateliers

 et bureaux, forge, fonderie, gare et  … des lits que l’on

 a traînés dehors, puis qui ont été laissés là … Des

 casseroles, des assiettes, un pareo accroché aux

 épines d’un buisson … On songe à ces villes de bois,

 construites par les chercheurs d’or en Californie ou

 au Colorado, puis laissées à l’abandon : Les films de

 cow-boys nous en ont offert les images ! … On songe à

 Pompeï ou Herculanum.





Mais ici, aucun cataclysme n’est responsable du

 délabrement ni de l’abandon : Le rendement de

 l’exploitation n’étant plus rentable, on a arrêté les

 générateurs, peut-être a-t-on aussi fermé les robinets




 … Puis on est parti !




















Ô, l’atelier de menuiserie ! … Sous la scie à ruban, sur

 l’établi, il y avait encore un petit tas de sciure

 pulvérulente, comme si le menuisier allait revenir

 dans un instant et reprendre son travail là où il l’avait

 laissé … Un calendrier pendait au mur, sur lequel on

 avait noté en regard des dates le nombre de cercueils

  qu’il avait fallu construire : Une ville de trois mille

 habitants, on y vit, on y travaille, mais, bien sûr, on y

 meurt aussi !



















L’exploitation avait employé des ouvriers de toutes

 origines : Des Polynésiens, bien sûr, mais aussi des

 Japonais, des Chinois … Des Annamites …

















Hallucinant ! La Compagnie des Phosphates

 d’Océanie, en 1910 a extrait 12 tonnes de phosphates,

 en 1929, elle en tirait 251 tonnes, en 1960, elle

 enlevait 400 tonnes ! Durant toute la période

 d’exploitation, des ouvriers qui circulaient d’un trou

 à l’autre sur des passerelles de planches, qui

 creusaient le sable des phosphates à la pelle, qui

 roulaient leurs brouettes jusqu’aux wagonnets du

 chemin de fer, zigzaguant entre les excavations,

qui s’enfonçaient au plus profond des grottes ….

Des prêtres, des curés, des pasteurs, des épouses,

des enfants, des commerçants, des mécaniciens,

des bureaucrates, des administrateurs …




















Et puis, tout d’un coup … On part en laissant

les portes ouvertes : Clés sur les serrures, cuves

 pleines, matériaux et outils … Tout, on laisse tout

et l’on en fait cadeau au Territoire, qui, transfère

le cadeau à la commune … C’était en 1966 et le maire

 de Makatea se demande toujours ce qu’il va bien

 pouvoir faire pour réinsuffler dans son île un souffle

 de vie !



















Tourisme pour riches rêveurs ? … Il reste, sur

 Makatea, quelques crabes de cocotiers : On les mange

 et c’est, paraît-il excellent … Mais on peut aussi les

 naturaliser et les ramener chez soi pour les exposer

 sur les rayons de sa bibliothèque !















Se dresse sur celle île un bloc de pierre que l’on

 nomme la « Pierre Moa » … On voulait l’enlever pour

 en faire une stèle commémorative … On raconte

qu’il fut impossible de l’arracher du sol : Même avec

 un hélicoptère, on n’y parvint pas … C’est l’esprit de

 Makatea qui est toujours là … Contrairement aux

 apparences peut-être, la vie est toujours là …






 


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