DES OISEAUX
Comment imaginer le bonheur sans
un arbre, sans les feuilles, sans les
fruits, sans les
fleurs, sans les oiseaux ? Ici, les arbres
portent
de petites fleurs blanches et tout à la fois
les
coupes des tulipiers, les pompons des
dahlias,
les roses en bouton et les roses épanouies,
les
longs cornets des droséras, les flammes des
glaïeuls, les houppes des coccolobas ou
raisins-bord-de mer. Les feuilles sont
graciles et
roses ou bien larges et luisantes ainsi que
celles
des magnolias. Comment imaginer plus pure
merveille que la miraculeuse ébénisterie de
la
pomme du mahogani, ses graines ailées logées
entre les écailles qui s'ajustent et
s'emboîtent ? ...
L'air sent la cannelle, la girofle, le cèdre
et le
mimosa. Il faut imaginer des rameaux chargés
tout à la fois de sapotilles, de prunes et
de
pommes, de mangues, de cerises, de letchis,
d'oranges, d'abricots et de noix ... La
brise dans
les branches et dans les feuillages joue des
musiques très douces.
À cinq heures, dans l'après-midi,
on tape dans ses mains, vigoureusement,
comme
pour appeler quelqu'un. Le bonheur alors se
complète. Il arrive très vite, dans un
froissement
de rouges et d'orangés. Centaines d'ailes
qui
battent. Centaines d'oiseaux cousins des
serins,
libres, venant nous voir car tel est leur
bon plaisir,
nous
faisant la grâce d'une visite. Vous leur
lancez deux poignées de riz sur la terrasse.
Ils se posent avec de petits cris de joie.
Joie ...
C'est la joie qui bat des ailes, écarte les
queues en
éventails, déplie les petites pattes, ouvre
les
doigts. La plupart de ces oiseaux sont
rouges,
avec le ventre dans les tons orange vif.
Certains
ont la plume verdâtre, d'autres, plus rares,
sont
tout à fait jaunes comme les canaris de vos
volières. Ils viendront picorer jusque dans
le
creux des mains, lestes, prompts, attentifs.
Habituellement ils vont en bandes et on ne
les
voit venir qu'en fin d'après-midi. Il arrive
souvent
pourtant qu'un vieux mâle vienne se poser sur
ma fenêtre aux heures les plus chaudes. Il
rentre
dans la cuisine. Il est chez lui. Sur la
table, il sait
qu'une tranche de pain a été disposée à son
intention. Je ne jurerais pas, pendant que
je le
photographie ... Je crois bien qu'il
n'attendait
que ça !
À cinq heures, les serveuses du
restaurant de l'hôtel commencent à disposer
les
couverts et à préparer le buffet
libre-service.
Les oiseaux sont là, perchés sur les
dossiers des
chaises. Dès que les dos seront tournés ils
viendront planter leur bec dans la chair des
papayes et autres fruits ... Couvrez,
couvrez les
plats et les mets qu'ils contiennent, les
oiseaux
arrivent ! Ils sont là, pendant le repas,
prudents,
mais néanmoins effrontés assez pour demeurer
à
faible distance. Ils font le bonheur des
convives.
Dès que les chaises ont été tirées, ils se
reforment
en
vol serré et ils se posent sur les tables.
Le bonheur est là. Les arbres sont
toujours verts. Il y a toujours quelque part
quelque fleur épanouie. Il y a toujours,
pendu à
une branche ou à une autre quelque fruit à
peau
de velours ou à peau de cuir. L'air sent le
patchouli, la vanille, la cannelle, la
girofle. Il y a
des centaines d'oiseaux qui pépient en
battant
des ailes, des oiseaux libres et sans
crainte ...
Le bonheur selon Saint François d'Assise qui
parlait aux oiseaux ! ... C'est tout près de
la ligne
équinoxiale, c'est aux iles Fortunées, c'est
aux
îles Bienheureuses, c'est aux îles Saint
Brendan,
aux îles d'Ophir, aux îles du Brazil, c'est
aux
Seychelles, les îles d'or, d'émeraude et de
saphir ! ...
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