À PARIS, DANS LES ANNÉES QUATRE
VINGTS
La Place Royale fut conçue par Henri IV, dit-on. Elle fut
achevée sous le règne de Louis XIII. Au centre du square, c'est Louis XIII qui
chevauche le cheval de pierre. Un pigeon, souvent, se pose sur sa
perruque.
Richelieu habita ici, et Marion Delorme, et, plus tard,
Victor Hugo et Théophile Gautier. La Marquise de Sévigné y demeura. Le
Capitaine Fracasse traîne toujours sa rapière sous les voûtes puissantes de la
galerie. Sur un banc, près des marronniers qui font de l'ombre au cheval du
Roi, un homme à cheveux blancs courbe le dos, c'est Monsieur Madeleine, et
voici Cosette qui, dans l'allée, saute à la corde.
Dans l'obscurité, sous l'un des porches, deux jeunes gens
ont étendu une veste sur les pavés. Un duvet léger, sur leur joue, se dore dans
un rai de lumière. Ils jouent un air de Lulli je crois. Une flûte est accompagnée
d'une cabrette. Quelques pièces luisent.
Derrière les grilles, les tilleuls moussent d'un vert
tendre et neuf. Ce sont les tilleuls qui m'on fait venir jusqu'ici : Une
polémique que j'avais lue dans quelque revue ... Fallait-il arracher les
tilleuls pour rendre à la place son aspect d'origine ? _ On les a conservés.
C'est bien, ainsi. Par contre, maintenant que sont sauvés les tilleuls, il faudrait
penser à la Place Des Vosges.
Depuis longtemps Cinq Mars a disparu, qui faisait la cour à
Marion. Javert ne guette plus derrière les piliers. " Tra-Tra...", la
Marquise s'en est allée vers le boulevard Beaumarchais; les chevaux de sa
voiture claquant des fers en passant devant le joueur de cabrette. La soubrette
ne se penche plus à la lucarne qui s'ouvre au-milieu du toit bleuté. Les
Mousquetaires ne font plus sonner leurs éperons et leurs ferrets.
Les toits sont crevés. Au-milieu des façades de brique
rose à colombages, j'ai vu des fenêtres borgnes. Certaines vitrines d'échoppes
sont aveugles et barrées de planches clouées. Dans le jardin, la pelouse est
devenue lépreuse ... Paris ! Oh Paris ! La Place des Vosges est austère et
sévère, mais elle est admirable de formes, de grâce et de proportions.
Il faut imaginer les façades ravalées, les voûtes
réparées, les ardoises remplacées ...
Un libraire ... Sa vitrine montrant de belles
reliures rouges ou moirées, peut-être. Un sellier ... La Galerie de Flore
pourrait être conservée. Il faudrait pour cela en changer la porte de verre,
dont la poignée est vraiment mal choisie pour l'endroit. Les boutiques des
antiquaires ? _ Oui, on pourrait les conserver, surtout celle dans laquelle on
vend des armes et des armures ... On trouverait bien quelles boutiques
installer encore, qui ne seraient pas déplacées ici ... Et puis on ferait ôter
les affichettes de publicité qui sont collées sur les vitrines . On laisserait
les tilleuls ... Ou on les enlèverait ... Ce n'est pas l'important, à condition
que l'on refasse le jardin ... Gazon ? Entrelacs "à la Française" ? _
Qu'importe, si tout est bien soigné ! ... Ne pas tarder, surtout : Ce sont déjà
des taudis qu'il faut sauver.
Elle est belle, très belle, la Place des Vosges !
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